Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
occuper
de ces soins de détail qui paraissent incompatibles avec la nature et les
attributs de l’auteur de toutes choses [2322] .
L’éloquence de Platon, le nom de Salomon, l’autorité de
l’école d’Alexandrie, le consentement des Juifs et des Grecs, ne suffisaient
point pour établir la vérité d’une doctrine mystérieuse qui séduisait l’esprit,
mais qui révoltait la raison. Un apôtre ou un prophète inspiré par la Divinité
pouvait seul exercer un empire légitime sur la foi du genre humain ; et la
théologie de Platon aurait toujours été confondue avec les visions
philosophiques de l’académie, du portique et du lycée, si le nom et les
attributs divins du logos n’avaient pas été confirmés par la plume céleste du
dernier [2323] et du plus sublime des évangélistes [2324] .
Sous le règne de Nerva, la révélation chrétienne apprit à l’univers étonné que
le logos, qui était de toute éternité avec Dieu, qui était Dieu lui-même, qui
avait créé toutes choses, et pour qui tout avait été fait, s’était incarné dans
la personne de Jésus de Nazareth ; qu’il était né d’une vierge, et avait
souffert la mort sur une croix. Outre le dessein général de donner une base
perpétuelle aux divins honneurs du Christ, les plus anciens et les plus
respectables des écrivains ecclésiastiques conviennent que le théologien
évangélique avait particulièrement l’intention de réfuter les deux hérésies
opposées qui troublaient la paix de la primitive Église [2325] . 1° La foi des
ébonites [2326] ,
et peut être celle des nazaréens [2327] ,
était grossière et imparfaite. Ils révéraient Jésus comme le plus grand des
prophètes, doué d’une puissance et d’une vertu surnaturelles. Ils appliquaient
à sa personne et à son règne futur toutes les prédictions des oracles hébreux
qui annoncent le règne spirituel et éternel du messie [2328] . Quelques-uns
d’entre eux admettaient qu’il était né d’une vierge ; mais ils rejetaient avec
obstination l’existence précédente, et les perfections divines du logos ou fils de Dieu, qui sont définies si clairement dans l’Évangile de saint Jean.
Environ cinquante ans après, les ébionites, dont saint Justin martyr a rapporté
les erreurs avec moins de sévérité qu’elles ne paraissent le mériter [2329] , ne composaient
qu’une très faible partie du peuple chrétien. 2° Les gnostiques, connus sous la
dénomination de docètes , donnaient dans l’excès contraire. Ils
reconnaissaient la nature divine du Christ, et ne croyaient point à sa nature
humaine [2330] .
Élevés dans l’école de Platon, accoutumés à l’idée sublime du logos , ils
concevaient aisément que le plus pur des æones ou substances émanées de la Divinité pouvait prendre la forme et l’apparence d’un mortel [2331] ; mais ils
prétendaient que les imperfections de la matière étaient incompatibles avec la
pureté d’une substance céleste. Le sang du Christ fumait encore sur le
Calvaire, que déjà les docètes inventaient des hypothèses impies et extravagantes
; ils publiaient qu’au lieu d’être sorti du sein d’une vierge [2332] , Jésus était
descendu sur les bords du Jourdain sous la forme d’un homme fait ; qu’il avait
fasciné la vue de ses ennemis et même de ses disciples, que les satellites de
Pilate avaient épuisé leur impuissante fureur sur un fantôme. qui sembla mourir
sur la croix et sortir trois jours après du séjour des morts [2333] .
La sanction divine qu’un apôtre avait donnée au principe
fondamental de la Théologie de Platon, encouragea les savants prosélytes des
second et troisième siècles à étudier et à admirer les écrits du sage
d’Athènes, qui avait prédit d’une manière si merveilleuse une des plus
étonnantes découvertes de la révélation chrétienne. Le nom respectable de
Platon servit également aux orthodoxes [2334] ,
qui l’employaient pour soutenir la vérité, et aux hérétiques, qui en abusaient
pour défendre l’erreur [2335] .
L’autorité d’habiles commentateurs et la science de la dialectique furent
employées à justifier les conséquences éloignées qu’on pouvait tirer de ces
opinions et à suppléer au silence discret des écrivains sacrés. On agita dans
les écoles philosophiques et chrétiennes d’Alexandrie les grandes et subtiles
questions relatives à la nature, la génération, la distinction et à l’égalité
des trois divines
Weitere Kostenlose Bücher