Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dirigeait toutes les actions du mortel Jésus. Après avoir ainsi parcouru
tout le cercle théologique, on s’aperçoit avec surprise que le système des
sabelliens finit où celui des ébionites commence, et, que ce mystère
incompréhensible, qui nous oblige à l’adorer, échappe à la curiosité de nos
recherches [2359] .
En supposant les évêques du concile de Nicée [2360] en liberté
d’obéir aux mouvements de leur conscience, Arius et ses partisans ne pouvaient
se flatter d’obtenir la majorité des suffrages en faveur d’une hypothèse si
directement contraire aux deux opinions le plus généralement adoptées dans le
monde catholique. Les ariens sentirent le danger de leur situation et se
revêtirent prudemment de ces vertus modestes rarement pratiquées ou même
recommandées dans la fureur des discussions civiles ou religieuses, si ce n’est
par le parti le plus faible. Ils prêchaient la modération et l’exercice de la
charité chrétienne ; ils appuyaient sur la nature incompréhensible de la
question ; et rejetant tous les termes ou les définitions qui ne se trouvaient
pas dans les saintes Écritures, ils offraient de satisfaire leurs antagonistes
par de très fortes concessions, sans cependant renoncer tout à fait à leurs
principes. La faction victorieuse recevait leurs propositions, avec une
méfiance hautaine, et tâchait de découvrir quelque article de différence
inadmissible qui pût constater l’hérésie et les suites dangereuses de
l’arianisme. On lut publiquement, et on déchira avec mépris une lettre dans
laquelle Eusèbe de Nicomédie, le protecteur des ariens, avouait ingénument que
l’admission de l’ homoousion ou consubstantiel, expression familière aux
platoniciens, était incompatible avec leur système de théologie. Les évêques
qui faisaient la loi dans le concile, saisirent avidement cette heureuse
occasion ; et, suivant l’énergique expression de saint Ambroise [2361] , le glaive que
l’hérésie avait elle-même tiré du fourreau, leur servit pour abattre la tête de
ce monstre détesté. La consubstantialité du Père et du fils fut établie par le
concile de Nicée ; et elle a été unanimement reçue comme un article fondamental
de la foi chrétienne par le consentement des Églises grecques, latines,
orientales et protestantes. Mais si le même mot n’eût pas servi également à
rendre les hérétiques odieux et à unir les catholiques, il n’aurait pas rempli
le bût de la majesté du concile qui l’avait adopté comme un article de foi.
Cette majorité était divisée en deux partis, dont l’un penchait pour les
opinions des trithéistes, et d’autre pour celles des sabelliens. Mais comme ces
deux extrêmes semblaient taper ou la religion naturelle ou la révélation, ils
convinrent mutuellement de mitiger la rigueur de leurs principes et de
désavouer les conséquences justes, mais odieuses, que leurs adversaires
pouvaient en tirer. L’intérêt de la cause commune les engagea à unir leurs
forces et à celer leurs différends ; les conseils d’une tolérance
salutaire calmèrent leur animosité et leurs disputes furent suspendues par le
moyen du mystérieux homoousion , que les deux partis avaient la liberté
d’expliquer conformément à leurs opinions particulières. L’interprétation des
sabelliens, qui avait obligé, cinquante ans auparavant, le concile d’Antioche [2362] à proscrire
l’usage de cette expression fameuse, la rendait précieuse à ceux d’entre les
théologiens qui inclinaient secrètement pour une trinité purement de nom ; mais
les saints les plus célébrés du temps d’Arius, l’intrépide Athanase, le savant
Grégoire de Nazianze, et les autres piliers de l’Église qui défendaient avec
talent et avec succès la doctrine de Nicée, semblaient regarder le nom de substance comme le synonyme de nature , et ils essayaient d’en expliquer la
signification en affirmant que trois hommes étaient consubstantiels ou homoousiens puisqu’ils étaient de la même espèce [2363] .
Cette égalité distincte fut tempérée d’une part par la connexion interne et par
la pénétration spirituelle qui unit, indissolublement les personnes divines [2364] ; et de
l’autre, par la prééminence du père, qui l’on reconnaissait en tant qu’elle
était compatible avec l’indépendance du fils [2365] . Telles étaient
les bornes dans lesquelles pouvait se mouvoir en toute sûreté le fil incertain
et presque invisible
Weitere Kostenlose Bücher