Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
de l’orthodoxie. De quelque côté qu’on en sortît, les
hérétiques et les démons, placés en embuscade, guettaient, pour les saisir et
les dévorer au passage, ceux qui avaient le malheur de s’égarer. Mais comme les
degrés de haine théologique dépendent beaucoup plus des motifs de rivalité que
de l’importance de la question, les hérétiques qui refusaient au fils quelques
attributs, étaient plus odieux et plus sévèrement traités que ceux qui niaient
son existence. Saint Athanase passa sa vie à combattre l’extravagance impie des
ariens [2366] ; mais il défendit pendant vingt ans le sabellianisme de Marcellus d’Ancyre ;
et après qu’il eut été forcé d’abandonner son parti, il ne parla jamais qu’avec
un sourire équivoque des erreurs légères de son respectable ami [2367] .
L’autorité d’un concile général, auquel les ariens furent
eux-mêmes forcés de se soumettre, imprima sur les bannières du parti orthodoxe
le caractère mystérieux du mot homoousion , qui contribua, nonobstant
quelques débats obscurs, et quelques combats nocturnes, à maintenir et à
perpétuer l’uniformise de la foi, ou du moins de son langage. Les
consubstantialistes, à qui leur succès a obtenu le titre de catholiques, se
glorifiaient de l’invariable simplicité de leur symbole ; ils insultaient aux
variations continuelles de leurs adversaires, privés d’une règle de foi incontestable.
La sincérité ou les artifices des chefs ariens, la crainte des lois ou celle
des peuples, leur vénération pour le Christ, leur haine pour saint Athanase,
toutes les causes sacrées et profanes qui déterminent ou dérangent les projets
d’une faction religieuse, introduisirent parmi les sectaires un esprit de
discorde et d’inconstance qui donna naissance, en peu d’années, à dix-huit
différents systèmes de religion [2368] ,
et vengea l’autorité de l’Église qu’ils avaient bravée. L’ardent saint Hilaire [2369] , que la rigueur
de sa propre situation disposait plutôt à dissimuler les erreurs du clergé
d’Orient qu’à les exagérer, déclare que dans la vaste étendue des dix provinces
de l’Asie, dans laquelle il était exilé on ne trouvait qu’un très petit nombre
de prélats qui conservassent la connaissance du vrai Dieu [2370] . Les
persécutions qu’il avait éprouvées, les désordres dont il était le témoin et la
victime calmèrent momentanément ses passions irascibles ; et dans le discours
suivant, dont je vais transcrire quelques lignes, l’évêque de Poitiers se
laisse aller, sans y pendre garde, au ton d’un philosophe chrétien. C’est ,
dit saint Hilaire, une chose aussi déplorable que dangereuse, qu’il y ait
autant de professions de foi que d’opinions parmi les hommes, autant de
doctrines que d’inclinations, et autant de sources de blasphèmes qu’il y a de
péchés parmi nous, parce que nous faisons arbitrairement des symboles que nous
expliquons arbitrairement. L’homoousion est successivement rejeté, reçu et
expliqué dans différents conciles. La ressemblance totale ou partielle du père
et du fils dévient, dans ces temps malheureux, un sujet de dispute. Chaque
année, chaque mois nous inventons de nouveaux symboles pour expliquer des
mystères invisibles. Nous nous repentons de ce que nous avons fait, nous
défendons ceux qui se repentent, nous anathématisons ceux que nous avons
défendus, nous condamnons la doctrine des autres parmi nous, ou notre doctrine
chez les autres ; et en nous déchirant avec une fureur réciproque, nous
avons travaillé à notre ruine mutuelle [2371] .
On n’attend pas de moi, on trouverait peut-être mauvais que
j’enflasse cette digression théologique par un examen minutieux des dix-huit
symboles ou confessions de foi différentes dont les auteurs ont presque tous
désavoué le nom odieux de l’arianisme dans lequel ils avaient pris naissance.
On peut prendre plaisir à tracer la forme et la végétation d’une plante
bizarre, mais une description fastidieuse de feuilles sans fleurs, de branches
sans fruits, épuiserait bientôt la patience sans satisfaire la curiosité. Je
citerai cependant une des questions qui s’éleva dans la controverse arienne,
parce qu’elle produisit et servit à distinguer trois sectes qui n’étaient unies
ensemble que par leur aversion commune pour l’ homoousion du concile de
Nicée. 1° Leur demandait-on si le fils était semblable au père, les hérétiques
qui suivaient
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