Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
choix
de deux princes, dont l’un chassait les Barbares, tandis que l’autre les
appelait [2515] .
Julien, profondément blessé du reproche d’ingratitude, n’était pas moins
empressé de défendre sa cause par la force des arguments que par celle des
armes, et voulait paraître aussi supérieur par ses talons d’écrivain que par
son habileté dans l’art de la guerre. Dans sa lettre adressée au sénat et au
peuple d’Athènes [2516] ,
il semble qu’animé d’enthousiasme pour la patrie des lettres, il soumette sa
conduite et ses motifs à cette nation dégénérée, avec une déférence aussi
respectueuse que s’il eût plaidé, du temps d’Aristide, devant le tribunal
imposant de l’aréopage. Sa démarche auprès du sénat de Rome, à qui l’on
permettait encore de ratifier les élections des empereurs, était ‘conforme aux
usages de la république expirante. Tertullus, préfet de la ville, convoqua une
assemblée. On lut la lettre de Julien, et comme il était pour le moment le
maître de l’Italie, sa demande fut admise à l’unanimité. Mais les sénateurs
n’approuvèrent pas également ses censures indirectes des innovations de Constantin,
non plus que ses violentes invectives, contre Constance. Ils s’écrièrent tout
d’une voix, comme si Julien eût été présent : Ah ! respectez, de grâce,
l’auteur de votre fortune [2517] .
Cette exclamation équivoque était susceptible d’être expliquée comme un reproche
d’ingratitude si l’usurpateur succombait ; et, dans le cas contraire, elle
pouvait signifier qu’en contribuant à l’élévation de Julien, Constance avait
suffisamment réparé toutes ses fautes.
Constance fut informé de l’entreprise et des succès de Julien
au moment où la retraite de Sapor suspendait la guerre de Perse et permettait
de s’occuper des rebelles. Dégoisant l’angoisse de son âme sous l’extérieur du
mépris, le fils de Constantin annonça son retour en Europe et le dessein de
donner la chasse à Julien ; car ce n’était jamais que comme d’une partie de
chasse qu’il parlait de cette expédition [2518] ; et quand il en fit part à l’armée dans le camp d’Hiérapolis, il ne fit
mention que très - légèrement du crime et de l’imprudence de Julien, et assura
ses soldats que, si les mutins de la Gaule avaient l’audace de paraître devant
eux en plaine, ils ne supporteraient pas le feu de leurs peux, et seraient
renversés du seul bruit de leurs cris de guerre. L’armée d’Orient applaudit au
discours de I’empereur ; et Théodote, président du conseil d’Hiérapolis,
demanda avec des larmes d’adulation que la tête du rebelle Julien devînt un des
ornements de sa ville [2519] .
Un détachement choisi partit dans des chariots de poste pour occuper, s’il en
était temps encore, le passage de Succi. Les recrues, les chevaux, les armes et
les magasins destinés pour les frontières de la Perse, furent employés contre
les Gaulois ; et le succès que Constance avait eu dans toutes les guerres
civiles, laissa ses courtisans sans inquiétude. Un magistrat nommé Gaudentius,
s’étant assuré des provinces d’Afrique au nom de Constance, arrêta les
approvisionnements destinés pour Rome, et cette ville manqua de subsistances.
L’embarras de Julien fut encore augmenté par un événement imprévu qui aurait pu
avoir les suites les plus funestes. Deux légions et une cohorte d’archers,
cantonnées auprès de Sirmium, s’étaient enrôlées sous ses drapeaux ; mais, avec
raison, il comptait peu sur la fidélité de ces troupes que l’empereur avait
distinguées d’une manière particulière ; et, sous le prétexte de défendre les
frontières de la Gaule, il les éloigna du théâtre d’une guerre active, la plus
importante pour lui. Ce petit corps d’armée avança en murmurant jusqu’aux
frontières de l’Italie. Mais bientôt la crainte des fatigues d’une longue
marche, celle que leur inspirait la férocité des Germains qu’ils allaient
combattre, achevèrent d’aliéner les soldats. Excités par un de leurs tribuns,
ils s’arrêtèrent à Aquilée, et arborèrent les drapeaux de Constance sur les murs
de cette ville imprenable. Julien aperçut d’un coup d’œil toute l’étendue du
danger, et la nécessité d’y remédier avec promptitude. Jovin retourna par ses
ordres en Italie avec une partie de l’armée ; il commença immédiatement le
siège d’Aquilée et le poursuivit avec la plus grande
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