Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
rétablir une religion dénuée de l’appui des principes
théologiques, des préceptes moraux et de la discipline ecclésiastique ; une
religion qui se précipitait vers sa ruine et n’était susceptible d’aucune
réforme solide et raisonnable. La juridiction du souverain pontife, surtout
après qu’on eut réuni cet emploi à la dignité impériale, embrassait toute
l’étendue de l’empire romain. Julien nomma pour ses vicaires, dans les diverses
provinces, les prêtres et les philosophes qu’il croyait les plus propres à
l’exécution de son grand projet ; et ses lettres pastorales [2601] , si l’on peut
les nommer ainsi, offrent une esquisse curieuse de ses desseins et de ses
intentions. Il veut que dans chaque ville l’ordre sacerdotal soit composé, sans
distinction de naissance et de fortune, de ceux qui montrent le plus d’amour
pour les dieux et pour les hommes. S’ils sont coupables , continue-t-il, d’un
délit scandaleux, le pontife supérieur doit les censurer ou les dégrader ; mais
tant qu’ils gardent leur dignité, ils ont droit au respect des magistrats et dû
peuple. Il faut que la simplicité de leur habit domestique annonce leur
humilité, et que l’éclat de leurs vêtements sacrés montre l’importance de leurs
fonctions. Lorsqu’ils sont appelés à leur tour au service de l’autel, ils
doivent, durant le nombre de jours désignés, ne pas s’éloigner de l’enceinte du
temple ; et ne pas laisser passer un seul jour sans s’acquitter des prières et
des sacrifices qu’ils sont obligés d’offrir pour la prospérité de l’État et des
individus. La sainteté de leur ministère exige une pureté sans tache, soit de
corps, soit d’esprit ; et même en quittant le temple pour reprendre les
occupations de la vie ordinaire, ils doivent observer encore plus de décence et
de vertu que le reste de leurs concitoyens. Le prêtre des dieux ne doit jamais
paraître aux théâtres ou dans les tavernes ; sa conversation doit être chaste,
son régime frugal, et ses amis de bonne réputation. S’il va, quelquefois au
Forum ou au palais, ce doit être seulement pour y défendre ceux qui ont imploré
vainement la justice ou la clémence du prince ou des magistrats. Ses études
doivent être analogues à la sainteté de sa profession. Les contes licencieux,
les comédiens ou les satires, doivent être bannis de sa bibliothèque, qu’il est
important de réduire à des ouvrages d’histoire ou de philosophie, à des
histoires fondées sur la vérité, et à des écrits philosophiques qui aient du
rapport avec la religion. Les systèmes impies d’Épicure et des sceptiques
méritent son aversion et son mépris [2602] ; mais il doit étudier avec soin ceux de Pythagore, de Platon et des
stoïciens qui enseignent unanimement qu’il y a des dieux ; que leur providence
gouverne le monde ; que nous devons à leur bonté tous les avantages temporels,
et qu’ils ont préparé à l’âme humaine un état futur de récompense ou de
châtiment . Le pontife couronne prêche ensuite, de la manière la plus
persuasive, les devoirs de la bienveillance et de l’hospitalité ; il exhorte le
clergé inférieur à recommander la pratique universelle de ces vertus, promet de
donner aux prêtres indigents les secours du trésor public, et annonce la
résolution d’établir dans toutes les villes des hôpitaux où les pauvres seront
reçus sans distinction de pays et de religion. Julien voyait avec envie les
règlements sages et humains de l’Église ; il ne craint pas de déclarer qu’il
veut priver les chrétiens des éloges et des avantages que leur a valus la
pratique exclusive clé la charité et de la bienfaisance [2603] . Il aurait pu,
dans les mêmes vues, adopter plusieurs institutions des chrétiens dont le
succès faisait sentir l’importance. Mais s’il eût réalisé ces plans de réforme
imaginaire, sa copie imparfaite et forcée aurait été moins utile au paganisme
qu’honorable à ses ennemis [2604] .
Les gentils, qui suivaient eh paix les usages de leurs ancêtres, furent plus
surpris que charmés de l’introduction de ces mœurs étrangères, et, durant le
court intervalle de son règne, Julien eut souvent occasion de se plaindre du
défaut de ferveur de son parti [2605] .
Son fanatisme le portait à regarder les amis de Jupiter
comme ses amis personnels ; et quoique dans sa prévention ce prince fit peu de
cas de la constance des chrétiens, il admirait et
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