Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
récompensait la noble
persévérance de ceux des idolâtres qui avaient préféré la faveur des dieux à
celle d’un empereur [2606] .
Ceux qui étaient en même temps disciples de la littérature et de la religion
des Grecs, avaient un titre de plus à son amitié ; car Julien plaçait les Muses
au nombre de ses divinités tutélaires. Les mots de piété et de littérature
étaient presque synonymes dans son système de religion [2607] ; et une foule
de poètes, de rhéteurs et de philosophes, se rendaient en hâte à la cour
impériale poser y remplir les places des évêques qui avaient séduit la
crédulité de Constance. Son successeur estimait plus les liens de l’initiation
que ceux de la parenté ; il choisit ses favoris parmi les sages les plus
profondément instruits dans les sciences occultes de la magie et de la
divination ; et tout imposteur qui avait la prétention de révéler les secrets
de l’avenir, était sûr de jouir à l’instant même des honneurs et de la fortune [2608] . Entre tous les
philosophes, Maxime obtint la première place dans l’amitié de son auguste
disciple, qui, au milieu de l’incertitude inquiétante de la guerre civile, lui
communiquait sans réserve ses actions, ses sentiments et ses desseins sur la
religion [2609] .
Dès que Julien fut établi dans le palais de Constantinople, il appela auprès de
lui Maxime, qui résidait alors à Sardes, ville de Lydie, et Chrysanthe, qui
partageait les études et les travaux. de Maxime. Le prudent et superstitieux
Chrysanthe ne voulut pas faire un voyage sur lequel les règles de la divination
annonçaient des présages très funestes ; mais son compagnon, dont le fanatisme
était plus hardi, continua d’interroger-le ciel jusqu’à ce qu’il eût arraché
des dieux une approbation apparente de ses projets et de ceux de l’empereur. Le
voyage de Maxime à travers les villes de l’Asie étala le triomphe de la vanité
philosophique ; les magistrats s’efforcèrent à l’envi d’accueillir
honorablement l’ami de leur souverain. Julien prononçait un discours au sénat
lorsqu’on l’instruisit de l’arrivée de Maxime. Il s’arrêta sur-le-champ, fut à
la rencontre du philosophe, et, après l’avoir embrassé avec tendresse, le
conduisit par la main au milieu de l’assemblée, et déclara en public tout ce
qu’il devait à ses instructions. Le philosophe [2610] , qui ne tarda
pas à obtenir la confiance de l’empereur et à influer sur les conseils de
l’empire, se laissa insensiblement séduire par les tentations qu’on rencontre à
la cour. Il s’habilla d’une manière plus brillanta ; son maintien prit dei la
fierté, et, sous le règne suivant, il se vit exposé à d’humiliantes recherchas
sur les moyens que le disciple de Platon avait employés pour amasser pendant la
courte durée de sa faveur une fortune si scandaleuse. Dans le nombre des autres
philosophes ou sophistes que le caprice du prince ou les succès de Maxime
avaient attirés dans la résidence impériale, peu parvinrent à conserver leur
innocence et leur réputation [2611] .
L’argent, les terres et les maisons qu’on leur prodiguait, ne satisfirent pas
leur avarice ; le souvenir de leur pauvreté et de .leurs protestations de
désintéressement excitait avec justice l’indignation du peuple. Il n’est pas
possible qu’ils soient parvenus à tromper toujours la pénétration de Julien ;
mais il se refusait à mépriser, pour leur caractère, des hommes dont il
estimait les talents ; les abandonner, d’ailleurs, c’était s’exposer au double
reproche d’imprudence et de légèreté, et dégrader aux yeux des profanes la
gloire des lettres et de la religion [2612] .
La faveur de Julien se partageait d’une manière presque
égale entre les païens qui avaient eu la fermeté de tenir au culte de leurs
ancêtres, et ceux des chrétiens qui embrassaient prudemment la religion de leur
souverain. En acquérant de nouveaux prosélytes [2613] , il
satisfaisait sa superstition et sa vanité, ses passions dominantes ; et on
l’entendit déclarer, avec l’enthousiasme d’un missionnaire, que quand même il
aurait rendu chaque individu plus opulent que Midas, et chaque ville plus
grande que Babylone, il ne se croirait pas le bienfaiteur du genre humain, à
moins d’avoir fait cesser en même temps la révolte impie de ses sujets contre
les dieux immortels [2614] .
Un prince qui étudiait la nature humaine et qui possédait les
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