Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
bords de l’Euphrate. Une puissante armée, sous les ordres du comte
Trajan ; et de Vadomair, roi des Allemands, établit son camp sur les confins de
l’Arménie ; mais, dans la crainte de se voir imputer la rupture du traité, on
leur enjoignit sévèrement de ne pas se permettre les premières hostilités ; et
telle fut la stricte obéissance du général romain, qu’il se retira, poursuivi
par une grêle de traits que lui lancèrent les Persans, attendant toujours, avec
une patience exemplaire, qu’ils lui eussent incontestablement donné le droit de
se venger par une victoire honorable et légitime. Cependant ces apparences de
guerre se tournèrent insensiblement en de longues et vaines négociations. Les
Romains et les Persans s’accusèrent mutuellement d’ambition et de perfidie ; et
il y a lieu de croire que le traité avait été rédigé d’une manière bien
obscure, puisqu’on fut obligé d’en appeler au témoignage partial de ceux des
généraux des deux partis qui avaient assisté aux négociations [2979] . L’invasion des
Huns et des Goths, qui ébranlèrent, peu de temps après, les fondements de
l’empire romain, exposa les provinces d’Asie aux entreprises de Sapor ; mais la
vieillesse du monarque et peut-être ses infirmités lui firent enfin adopter des
maximes plus pacifiques et plus modérées. Il mourut après un règne de
soixante-dix ans, et tout changea à la cour et dans les conseils. Les Persans
se trouvèrent probablement assez occupés par leurs divisions intestines et par
la guerre éloignée de Caramanie [2980] .
Le souvenir des anciennes injures s’éteignit dans les jouissances de la paix.
Les royaumes de Arménie et d’Ibérie, du consentement mutuel et tacite des deux
empires, furent rendus à leur douteuse neutralité. Dans les premières années du
règne de Théodose, un ambassadeur persan vint à Constantinople pour effacer,
par des excuses, les torts du dernier règne, qu’il ne prétendait pas justifier,
et offrir, comme un tribut d’amitié et même de respect, un magnifique présent
de pierres précieuses, d’étoffes de soie, et d’éléphants des Indes [2981] .
Les aventures de Para forment un des traits les plus
saillants et les plus singuliers du tableau général des affaires de l’Orient
sous le règne de Valens. Ce jeune prince s’était échappé, à la sollicitation de
sa mère Olympias, à travers la multitude de Persans qui assiégeaient
Artogerasse, et avait imploré secours de l’empereur d’Orient. Le timide Valens
prit la défense de Para, le soutint, le rappela, le rétablit et le trahit
alternativement. Quelquefois on permettait à Parade ranimer par sa présence les
espérances des Arméniens, et les ministres de Valens se persuadaient que tant
que son protégé ne porterait ni le diadème ni le titre de roi, on ne pourrait leur
reprocher aucun manquement à la foi publique. Mais ils se repentirent bientôt
de leur imprudence : le monarque persan éclata en reproches et en menaces, et
le caractère cruel et inconstant de Para lui-même leur donna de grands sujets
de méfiance. Il sacrifiait au moindre soupçon la vie de ses plus fidèles
domestiques, et entretenait secrètement une honteuse correspondance avec
l’assassin de son père et l’ennemi de son pays. Sous le prétexte de se
consulter avec l’empereur sur leurs intérêts communs, Para se laisse persuader
à descendre des montagnes d’Arménie, où son parti était en armes, et de mettre
son destin et sa vie à la discrétion d’une cour perfide. Les gouverneurs des
provinces qu’il traversa le reçurent à son passage, avec les honneurs dus au roi
d’Arménie, tel qu’il l’était réellement à ses propres yeux et dans l’opinion de
ses compatriotes ; mais lorsqu’il fut arrivé à Tarse en Cilicie, on arrêta sa
marche sous différents prétextes. On veillait sur toutes ses démarches avec une
respectueuse vigilance. Enfin il s’aperçut qu’il était le prisonnier des
Romains. Dissimulant avec soin ses craintes et son indignation, il prépara
secrètement sa fuite, et partit accompagné d’un corps de trois cents hommes de
sa cavalerie. L’officier de garde à la porte de son appartement avertit
sur-le-champ de son évasion le consulaire de la Cilicie, qui l’atteignit dans
le faubourg, et lui représenta inutilement l’imprudence et le danger de son
entreprise. On envoya une légion à sa poursuite ; mais une légion ne pouvait
pas inquiéter la fuite
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