Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
action
sanglante dans laquelle leur roi fut tué, les restes de cette tribu guerrière passèrent
dans le camp d’Hermanric. Il tourna ensuite ses armes contre les Vénédes,
formidables par leur nombre, mais peu accoutumés à la guerre ; ils occupaient
les vastes plaines de la Pologne moderne. Les Goths ne leur étaient pas
inférieurs en nombre ; la discipline et l’habitude des combats leur donnèrent
la victoire. Après avoir soumis les Vénédes, Hermanric s’avança, sans trouver
de résistance, jusqu’aux confins du pays des Estiens [2985] , peuple ancien,
dont le nom s’est perpétué dans la province d’Estonie. Ces peuples éloignés,
situés sur la côte de la mer Baltique, prospéraient par l’agriculture,
s’enrichissaient par le commerce de d’ambre, et consacraient leur pays au culte
particulier de la mère des dieux. Mais la rareté du fer obligeait les guerriers
estiens à combattre avec des massues, et la conquête de cette riche contrée
fût, dit-on, le fruit de la prudence d’Hermanric plutôt que de sa valeur. Ses
États, qui s’étendaient depuis le Danube jusqu’à la mer Baltique, comprenaient
les premiers établissements des Goths et toutes leurs nouvelles conquêtes. Il
régnait sur la plus grande partie de l’Allemagne et de la Scythie, avec
l’autorité d’un conquérant, et quelquefois avec la cruauté d’un tyran. Mais il
commandait à une multitude d’hommes inhabiles à perpétuer et à illustrer la
mémoire de leurs héros. Le nom d’Hermanric est presque oublié, ses exploits
sont imparfaitement connus et les Romains semblèrent ignorer eux-mêmes les
progrès d’une puissance ambitieuse qui menaçait la liberté du Nord et la tranquillité
de l’empire [2986] .
Les Goths étaient héréditairement affectionnés à la maison
de Constantin, dont ils avaient tant de fois éprouvé là puissance et la
libéralité. Ils respectaient la foi des traités ; et s’il arrivait à
quelques-unes de leurs bandes de passer les frontières romaines, ils
s’excusaient de bonne foi sur l’impétuosité indocile de la jeunesse barbare.
Leur mépris pour deux princes d’une naissance obscure, nouvellement élevés sur
le trône par une élection populaire, éveilla leur ambition, et leur inspira le
projet d’attaquer l’empire avec toutes les forces réunies de leur nation [2987] . Dans ces
dispositions, ils consentirent volontiers à embrasser le parti de Procope, et à
fomenter, par leur dangereux secours, les discordes civiles des Romains.
D’après les conventions publiques, on ne pouvait leur demander que dix mille
auxiliaires ; mais le zèle ardent des chefs des Visigoths rassembla une armée
de trente mille hommes, avec laquelle ils passèrent le Danube [2988] . Ils marchaient
dans cette orgueilleuse confiance que leur invincible valeur déciderait du sort
de l’empire ; et les provinces de la Thrace gémirent sous le poids de cette
multitude de Barbares qui commandaient : en maîtres et ravageaient en ennemis.
Mais l’intempérance avec laquelle ils se livraient à leurs brutales passions
ralentit leurs progrès ; et avant d’avoir appris d’une manière certaine la
défaite et la mort de Procope, ils aperçurent, par l’aspect menaçant que prit
tout à coup le pays qui les environnait, que la puissance civile et militaire
avait été ressaisie par son heureux rival. Une chaîne de postes et de
fortifications, placée avec intelligence par Valens ou par ses généraux, arrêta
leur marche, coupa leur retraite et intercepta leurs subsistances. La faim
dompta, ou du moins fit taire l’orgueil des Barbares ; ils jetèrent en
frémissant leurs armes aux pieds du vainqueur qui leur offrait des vivres et
des chaînes. Valens distribua cette multitude de captifs dans toutes les villes
de l’Orient, et les provinciaux se familiarisant bientôt avec leur figure
sauvage, essayèrent leurs forces contre ces adversaires formidables, dont le
nom avait été si longtemps pour eux un objet de terreur. Le roi des Scythes (le
seul Hermanric pouvait mériter ce titre pompeux) fut affligé autant qu’irrité
de cette perte nationale. Ses ambassadeurs se plaignirent hautement à la cour
de Valens de l’infraction d’une alliance ancienne et solennelle qui subsistait
depuis si longtemps entre les Goths et les Romains. Ils représentèrent qu’ils
n’avaient fait que remplir leur devoir en secourant le parent et le successeur
de l’empereur Julien, et exigèrent la
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