Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
monarque national, et l’autre
pour le chef particulier de la tribu ; et chacune de ces taxes monte à la dîme
de la propriété de chaque sujet et des dépouilles qui lui tombent en partage.
Un souverain tartare jouit de la dixième partie des richesses de ses sujets,
et, comme les nombreux troupeaux qui font sa richesse particulière se
multiplient ainsi dans une proportion bien plus considérable que les autres, il
est en état de suffire abondamment au luxe peu recherché de sa cour, de
récompenser ses favoris ; et de maintenir, par la douce séduction des présents,
une obéissance qu’il n’obtiendrait peut-être pas toujours de sa seule autorité.
Les mœurs des Tartares accoutumés, comme leur khan , au meurtre et au
brigandage, peuvent excuser à leurs yeux quelques actes particuliers de sa
tyrannie qui exciteraient l’horreur d’un peuple civilisé ; mais le pouvoir
arbitraire d’un despote n’a jamais été reconnu dans les déserts de la Scythie.
La juridiction immédiate du khan est restreinte à sa propre tribu, et on
a modéré l’exercice de ses prérogatives par l’ancienne institution d’un conseil
national. La ceroultai ou diète des Tartares, se tenait régulièrement,
dans le printemps et dans l’automne, au milieu d’une vaste plaine [3014] ; ou les
princes de la famille régnante et les mursas des différentes tribus
pouvaient à l’aise se réunir à cheval et suivis de tous leurs guerriers : le
monarque ambitieux en passant en revue les forces d’un peuple armé, se voyait
obligé de consulter son inclination. On aperçoit, dans la constitution
politique des nations scythes ou tartares, les principes du gouvernement féodal
; mais le conflit perpétuel de ces peuples turbulents s’est terminé quelquefois
par l’établissement d’un empire despotique. Le conquérant, enrichi par les
tribus et soutenu parles armes de plusieurs rois dépendants, a étendu ses
conquêtes dans l’Europe et dans l’Asie. Les pasteurs du Nord se sont assujettis
aux arts, aux lois et à la gêne de résider dans des villes ; et le luxe, après
avoir détruit la liberté, a ébranlé peu à peu les fondements du trône [3015] .
Le souvenir des événements ne se conserve pas longtemps chez
une nation ignorante et sujette à des migrations fréquentes et éloignées. Les
Tartares modernes ignorent les conquêtes de leurs ancêtres [3016] ; et nous avons
puisé notre connaissance de l’histoire des Scythes dans leur commerce avec les
nations civilisées du Sud, les Grecs, les Chinois et les Persans. Les Grecs,
qui naviguaient sur l’Euxin et envoyaient des colonies sur les bords de la mer,
découvrirent à la longue, et imparfaitement, une partie de la Scythie, depuis
le Danube, et les confins de la Thrace jusqu’aux Méotides glacés, le séjour
d’un éternel hiver, et jusqu’au Caucase, que les poètes donnaient pour bornes à
la terre. Les Grecs célébrèrent, avec une simplicité crédule, les vertus de la
vie pastorale [3017] ,
et furent, avec plus de raison, effrayés du nombre et de la valeur des
Barbares, qui avaient écrase avec mépris l’immense armement de Darius, fils
d’Hystaspe [3018] .
Les monarques Persans avaient poussé leurs conquêtes vers l’occident jusqu’aux
rives du Danube [3019] et aux confins de la Scythie européenne. Leurs provinces orientales étaient
exposées aux incursions des Scythes de l’Asie, ces sauvages habitants des
plaines au-delà de l’Oxus et du Jaxarte, deux larges rivières dont le cours se
dirige vers la mère Caspienne. La longue et mémorable querelle d’Iran et de
Touran sert encore de sujet à l’histoire ou aux romans orientaux. La valeur
fameuse et peut-être fabuleuse des héros persans, Rustan et Asfendiar, se
signala pour la défense de leur pays contre les Afrasiabs du Nord [3020] : et le
courage indomptable des mêmes Barbares résista sur le même terrain aux armées
victorieuses de Cyrus et d’Alexandre [3021] .
Aux yeux des Grecs et des Perses, l’étendue réelle de la Scythie était bornée à
l’orient par les montagnes d’Imaüs ou de Caf ; leur ignorance sur les pays
situés à l’extrémité inaccessible de l’Asie mêlait beaucoup de fables aux idées
qu’ils se formaient de ces contrées éloignées. Mais ces régions inaccessibles
sont l’ancienne résidence d’une nation puissante et civilisée [3022] , qui remonte,
par une tradition vraisemblable à quarante siècles, et qui peut justifier
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