Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
pieuse fermeté de l’archevêque, et l’exemple de
Théodose démontre l’utilité des principes qui forcèrent un monarque absolu, que
ne pouvait atteindre la justice humaine, à respecter les lois et les ministres
d’un juge invisible. Le prince , dit Montesquieu, qui aime la religion
et qui la craint, est un lion qui cède à la main qui le flatte ou à la voix qui
l’apaise [3236] .
Les forces de ce puissant animal sont conséquemment à la disposition de celui
qui a acquis sur lui cette dangereuse autorité ; et le prêtre qui dirige la
conscience d’un souverain peut enflammer ou contenir ses passions sanguinaires
au gré de son inclination ou de son intérêt. Saint Ambroise a défendu
alternativement la cause de l’humanité et celle de la persécution avec la même
véhémence et le même succès.
Après la défaite et la mort de l’usurpateur de la Gaule,
Théodose fut maître absolu dans toute l’étendue du monde romain : il régnait
sur les provinces de l’Orient par le choix honorable de Gratien, et sur celles
de l’Occident par le droit de conquête. Le vainqueur employa utilement trois
années de séjour en Italie à rétablir l’autorité des lois et à réformer les
abus qui s’étaient introduits sous l’administration de Maxime et sous la
minorité de Valentinien. Les actes publics portaient toujours le nom de
Valentinien ; mais l’âge et la foi suspecte du fils de Justine exigeaient toute
la prudence d’un tuteur orthodoxe. Théodose aurait pu lui ôter l’administration
de ses États ou le renverser du trône sans s’exposer à des combats ou même à
des murmures. S’il avait écouté la voix de la politique ou de l’intérêt
personnel, ses amis auraient trouvé moyen de le justifier ; mais la générosité
de sa conduite, dans cette occasion mémorable, a arraché les applaudissements
de ses plus implacables ennemis. Il replaça Valentinien sur le trône de Milan,
rendit au prince détrôné toutes les provinces enlevées par Maxime, sans rien
stipuler à son avantage, soit pour le présent ou pour l’avenir, et y ajouta le
don magnifique de tout le pays au-delà des Alpes, que son heureuse valeur avait
reconquis sur le meurtrier de Gratien [3237] .
Satisfait de la gloire qu’il avait acquise en vengeant son bienfaiteur et en
délivrant l’Occident du joug de la tyrannie, l’empereur quitta Milan pour
retourner à Constantinople, et, dans la paisible possession de son empire,
retrouva bientôt ses habitudes de luxe et d’indolence. Il remplit également ses
devoirs, envers le frère de Valentinien, et ce que lui prescrivait sa tendresse
conjugale pour la sœur de ce jeune empereur ; la postérité, qui admire la
pure et singulière gloire dont le couvrit son élévation, applaudira de même à
l’incomparable générosité avec laquelle il usa de la victoire.
L’impératrice Justine ne survécut pas longtemps à son retour
en Italie, et quoiqu’elle ait encore été témoin du triomphe de Théodose, elle
n’eut pas le temps de reprendre aucune influence sur le gouvernement de son
fils [3238] .
Une éducation orthodoxe effaça bientôt les principes d’hérésie arienne qu’elle
lui avait donnés par son exemple et par ses instructions. Le zèle naissant de
Valentinien pour la foi de Nicée, son respect pour le caractère et pour
l’autorité de saint Ambroise, faisaient concevoir aux catholiques la plus
favorable opinion du jeune empereur de l’Occident [3239] : ils
applaudissaient à sa chasteté, à sa sobriété, à son mépris pour les plaisirs, à
son application aux affaires et à sa tendresse pour ses deux sœurs, en faveur
desquelles il ne se permettait cependant pas la plus faible injustice contre le
moindre de ses sujets. Mais cet aimable prince, avant d’avoir, accompli la
vingtième année de son âge, tomba victime d’une trahison domestique, et
l’empire se trouva de nouveau accablé des horreurs de la guerre civile.
Arbogaste [3240] ,
vaillant soldat de la nation des Francs avait tenu le second rang dans l’armée de
Gratien. A la mort de son maître, il avait passé sous les drapeaux de Théodose,
et avait contribué, par sa valeur et par ses talents militaires, à la défaite
de Maxime. Après la victoire, l’empereur le nomma maître général des armées de
la Gaule. Son mérite réel et sa fidélité apparente avaient gagné la confiance
du prince et de ses sujets. Il séduisit les troupes par ses largesses ; et,
tandis qu’on le
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