Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
recevoir pour collègue légitime, un citoyen respectable, appelé
au trône par les suffrages unanimes des peuples et des armées de l’Occident [3246] . Théodose fut
justement irrité de voir détruire en un instant, par la perfidie d’un Barbare,
le fruit de ses travaux et de sa victoire. Les larmes d’une épouse chérie
l’excitaient à venger la mort de son malheureux frère, et à rétablir une
seconde fois la majesté du trône [3247] .
Mais comme cette seconde conquête de l’Occident paraissait difficile et dangereuse,
il renvoya les ambassadeurs d’Eugène avec des présents magnifiques et une
réponse obscure, et employa près de deux années aux préparatifs de la guerre
civile. Avant de prendre une résolution décisive ; le pieux empereur désirait
de connaître les volontés du ciel ; et comme les progrès du christianisme
avaient imposé silence aux oracles de Delphes et de Dodone, il consulta un
moine égyptien, qui, dans l’opinion du siècle, possédait le don des miracles et
la connaissance de l’avenir. Eutrope, eunuque favori de l’empereur, s’embarqua
pour Alexandrie, d’où il remonta le Nil jusqu’à la ville de Lycopolis ou des
Loups, dans la province écartée de la Thébaïde [3248] . Aux environs
de cette ville saint. Jean [3249] avait construit de ses mains, sur le sommet d’une montagne ; une cellule dans
laquelle il avait demeuré plus de cinquante ans sans ouvrir sa porte, sans voir
la figure d’une femme et sans goûter aucun aliment cuit au feu ou préparé par
la main des hommes. Il passait cinq jours de la semaine dans la prière et la
méditation ; mais les samedis et les dimanches il ouvrait régulièrement une
petite fenêtre, et donnait audience à une foule de suppliants qui s’y rendaient
de toutes les parties du monde chrétien. L’eunuque de Théodose approcha
respectueusement, lui proposa ses questions relatives à l’événement de la
guerre civile, et rapporta un oracle favorable qui anima le courage de
l’empereur par la promesse d’une victoire sanglante, mais infaillible [3250] . A l’appui de
la prédiction, on prit toutes les mesures que pouvait suggérer la prudence
humaine. Les deux maîtres généraux Stilicon et Timasius reçurent l’ordre de
recruter les légions romaines et de ranimer leur discipline. Les troupes
formidables des Barbares marchaient sous les ordres, de leurs chefs nationaux. On
voyait rassemblés sous les drapeaux du même prince, l’Ibère, l’Arabe et le
Goth, occupés à se considérer avec une mutuelle surprise ; et le célèbre Alaric
acquit à l’école de Théodose les talents militaires qu’il employa depuis, d’une
manière si funeste, à la destruction de Rome et de l’empire [3251] .
L’empereur d’Occident, ou plutôt son général Arbogaste,
avait appris, par les fautes et la défaite de Maxime, combien il était
dangereux d’étendre la ligne de défense contré un ennemi habile qui pouvait à
son gré presser ou suspendre, restreindre ou multiplier ses attaques [3252] . Arbogaste
posta son armée sur les confins de l’Italie. Les troupes de Théodose
s’emparèrent, sans résistance, des provinces de la Pannonie jusqu’au pied des
Alpes Juliennes ; il trouva même les passages des montagnes gardés
négligemment, ou peut-être abandonnés à dessein aux entreprises de l’ennemi.
Théodose descendit des montagnes, et découvrit, non sans un peu de surprise, le
camp des Gaulois et des Germains, qui couvrait la plaine depuis les murs
d’Aquilée jusqu’aux bords du Frigidus [3253] ou rivière froide [3254] .
Un théâtre étroit, borné parles Alpes et par la mer Adriatique, offrait peu
d’exercice aux taleras militaires. Le fier Arbogaste dédaignait de demander
grâce ; son crime lui ôtait tout espoir de réconciliation, et Théodose était
impatient d’assurer sa gloire et de venger le meurtre de Valentinien. Sans
peser les obstacles de la pâture et de l’art, qui s’opposaient à ses efforts,
l’empereur fit attaquer le camp des ennemis ; et, en donnant aux Goths le poste
honorable du danger, il désirait secrètement que cette sanglante journée
diminuât le nombre et l’orgueil de ces conquérants. Dix mille de ces
auxiliaires, et Bacurius, général des Ibères, périrent courageusement sur le
champ de bataille ; mais la victoire ne fut pas le prix de leur sang. Les
Gaulois tinrent ferme, et l’approche de la nuit favorisa la fuite ou la
retraite tumultueuse des Romains.
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