Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Théodose, retiré sur les montagnes, passa une
nuit douloureuse dans l’inquiétude, sans provisions et sans autre espoir [3255] que celui qui,
au milieu des situations les plus désespérées, se soutient toujours dans une
âme forte ; capable de mépriser la fortune et la vie. Tandis que les troupes
d’Eugène célébraient leur triomphe dans son camp par les orgies d’une joie
insolente, le vigilant Arbogaste fit occuper les passages des montagnes par un
corps nombreux, pour couper l’arrière-garde dès ennemis, et Théodose aperçut au
point du jour tout l’excès du danger de sa situation. Mais les chefs de ce
corps firent bientôt cesser les craintes de l’empereur, en lui envoyant offrir
de passer sous ses drapeaux. Théodose accorda sans hésiter, toutes les
récompenses honorables et lucratives qu’ils exigeaient pour prix de leur
perfidie ; et au défaut d’encre et de papier, qu’il n’était pas facile de se
procurer, il écrivit sur ses propres tablettes la ratification du traité. Un
renfort si nécessaire ranima le courage de ses soldats ; ils retournèrent avec
confiance, pour surprendre dans son camp un usurpateur dont les principaux
officiers semblaient révoquer en doute les droits ou les succès. Au fort de la
mêlée, il s’éleva, du coté de l’orient, une de ces tempêtes dont les Alpes sont
fréquemment tourmentées [3256] .
L’armée de Théodose était garantie, par sa position, de l’impétuosité du vent ;
qui soufflait un nuage de poussière dans le visage de l’ennemi, rompait ses
rangs, arrachait les épées des mains des soldats, et repoussait contre eux
leurs inutiles javelots. L’empereur sut profiter habilement de l’avantage que
lui offrait la fortune. La superstition augmenta la terreur des Gaulois, et ils
cédèrent sans honte aux puissances invisibles qui semblaient combattre pour
leurs pieux ennemis. La victoire de l’empereur fut décisive, et la mort de ses
deux rivaux fut conforme à leurs différents caractères ; le rhétoricien Eugène,
qui s’était presque vu maître du monde, fut réduit à implorer la clémence du
vainqueur ; et, tandis qu’il était prosterné aux pieds de Théodose, les
impitoyables soldats lui abattirent la tête. Arbogaste après la perte de la
bataille. Où il s’était acquitté des devoirs d’un général et d’un soldat erra
quelques jours dans les montagnes. Convaincu qu’il n’avait plus de ressources,
et que sa fuite était impossible, l’intrépide Barbare imita l’exemple des
anciens Romains, et se perça de sa propre épée, Le sort du monde romain se
décida dans un coin de l’Italie. Le successeur légitime de la maison de
Valentinien embrassa l’archevêque de Milan, et reçut la soumission des
provinces de l’Occident elles étaient toutes complices de la rébellion.
L’intrépide Ambroise avait seul résisté aux sollicitations et aux succès de
l’usurpateur, et rejeté la correspondance et les dons d’Eugène avec une mâle
liberté qui aurait été fatale à tout autre qu’à lui. Il s’était retiré de Milan
pour éviter l’odieuse présence du tyran ; et il osa même prédire sa chute en
termes équivoques. Le vainqueur applaudit au mérite d’Ambroise, qui lui
assurait l’attachement du peuple par l’influence de la religion ; et on
attribue la clémence de Théodose à l’intercession de l’archevêque [3257] .
Après la défaite et la mort d’Eugène, tous les habitants du
monde romain reconnurent avec joie le mérite et l’autorité de Théodose. Sa
conduite jusqu’a cette époque donnait les espérances les plus flatteuses pour
la suite de son règne ; son âge, qui n’excédait pas cinquante ans, laissait
encore la perspective d’une longue félicité, et sa mort, arrivée quatre mois
après cette victoire, fut reçue comme un malheur inattendu, qui détruisait
toutes les espérances de. la génération naissante. Les jouissances du luxe et
l’inaction avaient affaibli la constitution de Théodose [3258] ; il ne put
supporter ce passage subit du repos d’un palais aux fatigues de la guerre, et
des symptômes effrayants d’hydropisie annoncèrent qu’on allait bientôt perdre
l’empereur. L’intérêt du public avait peut-être confirmé l’opinion de la
nécessité du partage de l’empire. Les princes Arcadius et Honorius, que la
tendresse de leur père avait déjà revêtus du titre d’Auguste, étaient destinés
à occuper les trônés de Rome et de
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