Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
religion de son souverain ; il déclare humblement que
les prières et les instances sont ses seules armes, et argumente avec adresse
moins en philosophe qu’en rhéteur. Symmaque tâche de séduire l’imagination du
jeune monarque par l’étalage pompeux des attributs de la victoire. Il insinue
que la confiscation des revenus consacrés au service des autels est indigne de
son caractère noble et généreux ; et soutient que les sacrifices des Romains
perdraient leur force et leur influence s’ils ne se célébraient plus aux dépens
et au nom de la république. L’orateur se sert même du scepticisme pour excuser
la superstition. Le mystère incompréhensible de l’univers élude, dit-il, la
curiosité des faibles humains, et on peut déférer à l’empire de l’habitude dans
les occasions où la raison n’est d’aucun secours. L’attachement de toutes les
nations pour les opinions consacrées par une longue suite de siècles, paraît
dicté par les règles de la prudence. Si ces siècles ont été couronnés de gloire
et de prospérité, si la dévotion des peuples a obtenu des dieux les faveurs
qu’ils sollicitaient sur leurs autels, tout engage à persister dans des
pratiques salutaires, et à éviter les dangers inconnus que pourraient attirer
d’imprudentes innovations. Les preuves tirées de l’ancienneté et du succès
étaient singulièrement en faveur de la religion de Numa ; en introduisant sur
la scène Rome elle-même ou le génie céleste qui présidait à sa conservation,
Symmaque le fait parler ainsi devant le tribunal des empereurs : Très
excellents princes , dit la matrone vénérable, pères de la patrie, ayez
de la compassion et du respect pour cet âge où je suis parvenue sans que ma
piété ait souvent aucun refroidissement. Puisque je n’ai pas lieu de m’en
repentir, laissez-moi continuer des pratiques que je révère ; puisque je sais
née libre laissez-moi jouir de mes institutions domestiques. Ma religion a
soumis l’univers, à mon empire. Mes pieuses cérémonies ont chassé Annibal de
mes portes et les Gaulois du Capitole. Ferez-vous à ma vieillesse cette cruelle
injure ? Je ne connais point le système que vous me proposez ; mais je sais
qu’en voulant corriger la vieillesse, on entreprend une tâche ingrate et peu
glorieuse [3277] .
Les terreurs du peuple suppléèrent à ce que l’orateur avait discrètement
supprimé, et les païens imputèrent unanimement à l’établissement de la religion
de Constantin tous les maux qui affligeaient ou menaçaient l’empire.
La résistance ferme et adroite de l’archevêque de Milan
détruisit les espérances de Symmaque, et prémunit les empereurs contre la
trompeuse éloquence de l’avocat de Rome. Dans cette controverse, saint Ambroise
daigne emprunter le langage de la philosophie, et demande avec mépris pourquoi
il serait nécessaire d’attribuer à un être invisible et imaginaire des
victoires suffisamment expliquées par le courage et la discipline des légions.
Il relève avec raison le ridicule d’un respect aveugle pour les institutions de
l’antiquité, qui tend à décourager le progrès des arts, et à replonger la race
humaine dans son ancienne barbarie. S’élevant ensuite peu à peu à un style plus
haut et plus théologique, il prononce que le christianisme est la doctrine
unique du salut et de la vérité et que tous les autres cultes conduisent leurs
prosélytes à travers les sentiers de l’erreur, dans l’abîme de la perdition
éternelle [3278] .
Ces arguments, prononcés par un prélat favori, furent suffisants pour empêcher
la restauration des autels de la Victoire ; mais ils eurent encore bien plus
d’énergie et d’influence dans la bouche, d’un conquérant, et Théodose traîna
les dieux de l’antiquité en triomphe après son char [3279] . Dans une
assemblée complète du sénat, l’empereur proposa, selon les anciennes formes de
la république, cette importante question de la religion du Christ ou de celle
de Jupiter, laquelle devait être désormais la religion des Romains ? La crainte
et l’espoir inspirés par la présence du monarque détruisirent la liberté des
suffrages qu’il affectait d’accorder ; et l’exil récent de Symmaque avertissait
ses confrères qu’il serait dangereux de contrarier la volonté du souverain.
Jupiter fut condamné par une majorité considérable, et il est étonnant que
quelques-uns des membres du sénat aient eu l’audace de déclamer
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