Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dans leurs
discours ou dans leurs suffrages l’attachement qu’ils conservaient pour une
divinité proscrite par l’empereur [3280] .
On ne peut attribuer la conversion précipitée du sénat qu’à une impulsion
surnaturelle ou à des motifs d’intérêt personnel ; et une partie de ces
prosélytes forcés laissa voir dans toutes les circonstances favorables une
disposition secrète à dépouiller le masque odieux de la dissimulation : mais ils
se confirmèrent dans la nouvelle religion à mesure que la destruction de
l’ancienne parut plus inévitable. Ils cédèrent à l’autorité de l’empereur, à
l’usage des temps et aux sollicitations de leurs femmes et de leurs enfants,
dont le clergé de Rome et les moines de l’Orient gouvernaient la conscience [3281] . Presque toute
la noblesse imita l’exemple édifiant de la famille Anicienne ; les Bassi, les
Paulini et les Gracques, embrassèrent la religion chrétienne. Les flambeaux
de l’univers, la vénérable assemblée des Catons, telles sont les magnifiques
expressions de Prudence, se hâtaient de quitter leurs habits pontificaux, de se
dépouiller de la peau du vieux serpent, pour se revêtir de la robe blanche de
l’innocence baptismale, et humilier l’orgueil des faisceaux consulaires sur la
tombe des martyrs [3282] .
Les citoyens qui subsistaient du fruit de leur industrie, la populace qui
vivait de la libéralité publique, remplirent les églises de Latran et du
Vatican d’une foule inépuisable de zélés convertis. Le consentement général des
Romains [3283] ratifia les décrets du sénat, qui proscrivaient le culte des idoles ; la
magnificence du Capitole s’obscurcit, et les temples déserts furent abandonnés
à la ruine et au mépris [3284] .
Rome se soumit au joug de l’Évangile, et son exemple entraîna les provinces
conquises qui n’avaient pas encore perdu tout respect pour son nom et pour son
autorité.
La piété filiale des empereurs les engageait à procéder avec
douceur et prudence à la conversion de la ville éternelle ; mais ils n’eurent
pas la même indulgence pour les préjugés des villes des provinces. Le zélé
Théodose reprit avec ardeur et exécuta complètement les pieux travaux suspendus
plus de vingt ans après la mort de Constance [3285] . Tandis que ce
prince guerrier combattait encore contre les Goths, moins pour la gloire que
pour la sûreté de l’empire, il hasarda d’offenser une grande partie de ses
sujets par quelques entreprises qui pouvaient mériter la protection du ciel,
mais que ne saurait approuver la prudence humaine. Les succès de ses premiers
efforts contre les païens, encouragèrent le pieux empereur à réitérer ses édits
de proscription, et à les faire exécuter à la rigueur. Les lois originairement
publiées pour les villes de l’Orient, s’étendirent, après la défaite de Maxime,
dans toutes les provinces de l’empire d’Occident, et chaque victoire de ce
prince orthodoxe fut un nouveau triomphe pour l’Église catholique [3286] . Il attaqua la
superstition jusque dans ses fondements, en proscrivant l’usage des sacrifices,
qu’il déclara criminels et infâmes ; et quoique ses édits condamnassent plus
particulièrement la curiosité impie qui examine les entrailles des victimes [3287] , toutes les
interprétations postérieures tendirent à envelopper généralement dans le crime
l’acte d’immolation, qui constituait, essentiellement la religion des païens.
Les temples étaient principalement destinés à célébrer les sacrifices, et le
devoir d’un bon prince était d’ôter à ses sujets la dangereuse tentation de
transgresser les lois qu’il avait établies. Théodose chargea par une commission
spéciale, d’abord Cynegius, préfet du prétoire de l’Orient, et ensuite les
comtes Jovius et Gaudentius, deux officiers d’un rang distingué dans l’empire
d’Occident, de fermer les temples, d’enlever ou de détruire tous les
instruments de l’idolâtrie, d’abolir les privilèges des prêtres, et de
confisquer les terres consacrées, au profit de l’empereur, de l’Église
catholique ou de l’armée [3288] .
On pouvait s’en tenir là et sauver des mains destructrices du fanatisme des
édifices magnifiques qui, dépouillés de tout, ne pouvaient plus servir au culte
de l’idolâtrie. Une grande partie de ces temples étaient des chefs-d’œuvre de
l’architecture grecque, et l’intérêt personnel de l’empereur lui défendait
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