Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
une
église en l’honneur des saints martyrs. La précieuse bibliothèque d’Alexandrie
fût pillée et détruite, et près de vingt ans après, les cases vides excitaient
le regret et l’indignation de ceux chez qui les préjugés religieux n’avaient
pas tout à fait obscurci le bon sens [3307] .
Les œuvres du génie des anciens, dont un si grand nombre sont irrévocablement
perdues, auraient pu être exceptées de la ruine de l’idolâtrie, pour
l’amusement et pour l’instruction de la postérité. Le zèle ou l’avarice du
prélat [3308] auraient dû se trouver satisfaits des riches dépouilles qui furent le prix de
sa victoire. Tandis que l’on fondait avec soin les vases et les effigies d’or
et d’argent, et que l’on voyait les objets moins précieux brisés avec mépris et
dispersés dans les rues, Théophile travaillait à faire connaître les fraudes et
les vices des ministres des idoles, leur adresse à se servir de la pierre
d’aimant, leurs méthodes sécrètes d’introduire une créature humaine dans une
statue creusée en dedans, et l’abus criminel qu’ils faisaient de la confiance
des époux pieux et des femmes crédules [3309] .
Ces accusations sont trop conformes à l’esprit astucieux et intéressé de la
superstition pour ne pas mériter quelque degré de croyance ; mais il faut se
méfier de ce même esprit quand il s’efforce d’insulter et de calomnier son
ennemi vaincu ; et on doit réfléchir qu’il est bien plus facile d’inventer une
histoire scandaleuse que de pratiquer longtemps une fraude avec succès. La
statue colossale de Sérapis [3310] fut enveloppée dans la ruine de son temple et de sa religion. Un grand nombre
de plaques, de différents métaux joints ensemble, composaient la figure
majestueuse de la divinité, qui touchait des deux côtés aux murs du sanctuaire,
Sérapis, assis et un sceptre à la main, ressemblait beaucoup aux
représentations ordinaires de Jupiter, dont il n’était distingué que par le
panier ou boisseau placé sur sa tête, et par la figure emblématique du monstre
qu’il portait dans sa main droite ; ce monstre offrait le corps et la tête d’un
serpent qui se partageait en trois queues, terminées chacune par une tête,
l’une de chien, l’autre de lion, et la troisième de loup. On affirmait avec
confiance que, si la main d’un mortel impie osait insulter à la majesté du
dieu, le ciel et la terre rentreraient à l’instant dans le chaos. Un soldat
intrépide, animé par le zèle, et muni de sa hache d’armes, monta à l’échelle,
et les chrétiens eux-mêmes n’étaient pas sans inquiétude sur l’événement du
combat [3311] .
Le soldat frappa un coup violent sur la joue de Sérapis, elle tomba à terre ;
le tonnerre ne gronda point, les cieux et la terre conservèrent leur ordre et
leur tranquillité. Le soldat victorieux continua de frapper ; l’énorme idole
fut renversée et mise en pièces et ses membres furent ignominieusement traînés
dans les rues d’Alexandrie. Sa carcasse, mutilée, fut brûlée dans
l’amphithéâtre, aux acclamations de la populace ; et un grand nombre de
citoyens donnèrent l’impuissance, reconnue de leur dieu tutélaire pour le motif
de leur conversion. Les religions qui offrent au peuple un objet de culte
matériel et visible, ont l’avantage de s’adapter à la nature des sens et de les
familiariser avec les idées religieuses ; mais cet avantage est contrebalancé
par les accidents divers et inévitables auxquels est exposée la foi de
l’idolâtre. Il est presque impossible qu’il puisse conserver, dans toutes les
situations d’esprit, un respect implicite pour les idoles ou les reliques que
le tact et la vue ne sauraient distinguer des productions les plus ordinaires
de l’art ou de la nature ; et si, au moment du danger, leur vertu secrète et
miraculeuse est impuissante pour leur propre conservation, l’adorateur détrompé
méprise les vaines excuses des prêtres, et l’objet de son ancienne
superstition, ainsi que la folie qui l’y attachait, deviennent avec raison le
sujet de ses railleries [3312] .
Après la destruction de Sérapis, les païens espérèrent quelque temps que le Nil
refuserait son influence bienfaisante aux impies dominateurs de l’Égypte : un
retard extraordinaire de l’inondation semblait annoncer la colère de la
divinité du fleuve ; mais ce délai fut compensé par la crue rapide des eaux ;
elles s’élevèrent même tout à coup à
Weitere Kostenlose Bücher