Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
peine à la dignité de sénateur, qui exigeait
beaucoup de dépenses publiques et de représentation. On cite plusieurs exemples
de nobles fastueux et jaloux de la popularité, qui, sous le régner d’Honorius,
célébrèrent l’anniversaire de leur préture par une fête dont la durée fut de
sept jours et la dépense de plus de cent mille livres sterling [3560] . Les domaines
des sénateurs romains, qui excédaient si considérablement les bornes des
fortunes modernes, n’étaient pas toujours situés eu Italie ; ils s’étendaient
au-delà de la mer Ionienne et de la mer Égée, dans les provinces les plus
reculées de l’empire. La ville de Nicopolis, fondée par Auguste comme un
monument durable de la victoire d’Actium, appartenait à la dévote Paula [3561] ; et Sénèque
observé que les rivières qui avaient séparé des nations ennemies se trouvaient
maintenant traverser les propriétés d’un simple particulier [3562] . Une partie des
Romains, selon leur goût ou leur situation, faisaient cultiver leurs terres par
des esclaves, et d’autres les donnaient à bail à un fermier. Les écrivains
économiques de l’antiquité recommandent la première de ces deux manières de
faire valoir, comme la meilleure lorsqu’elle est praticable ; mais si, à raison
de l’éloignement ou de l’étendue, le propriétaire ne pouvait point y veiller
lui-même, ils conseillent de préférer un fermier héréditaire qui s’attache au
sol et qui est intéressé à la récolte, à un intendant mercenaire, souvent
négligent et quelquefois infidèle [3563] .
L’opulente noblesse d’une ville immense, peu avide de la
gloire militaire, et se livrant bien rarement aux occupations du gouvernement
civil, devait naturellement dévouer ses loisirs aux affaires et aux plaisirs de
la vie privée. Les Romains méprisèrent toujours le commerce ; mais les
sénateurs du premier âge de la république augmentaient leur patrimoine et
multipliaient leurs clients par la pratique lucrative de l’usure. L’intérêt et
l’inclination des deux parties concouraient à éluder ou à violer des lois
antiques et oubliées [3564] .
Rome doit avoir renfermé toujours des trésors considérables, soit en monnaie
courante au coin de l’empire, ou en vaisselle d’or et d’argent ; et, du temps
de Pline, on aurait trouvé dans le buffet d’un grand nombre de particuliers
plus d’argent massif que Scipion n’en avait rapporté de Carthage [3565] . La majeure partie
des nobles, dissipant leurs fortunes en profusions se trouvaient souvent
pauvres au milieu des richesses, et désœuvrés dans un cercle perpétuel
d’amusements. Une nombreuse suite d’esclaves, dont l’activité était excitée par
la crainte du châtiment, et une multitude d’ouvriers et de marchands, arrimés
par le désir et l’espérance de s’enrichir, leur fournissaient des milliers de
bras sans cesse en mouvement pour satisfaire leurs moindres désirs. Les anciens
manquaient d’une grande partie des commodités inventées ou perfectionnées de
nos jours, par les progrès de l’industrie ; et l’usage général du linge et du
verre procure aux habitants de l’Europe des jouissances infiniment préférables
à toutes celles que les sénateurs de Rome pouvaient tirer des raffinements de
leur fastueuse et voluptueuse profusion [3566] .
Leur luxe et leurs mœurs ont été l’objet de recherches très laborieuses et très
détaillées ; mais, comme elles m’éloigneraient trop du plan de cet ouvrage, je
présenterai au lecteur une description authentique de Rome et de ses habitants,
qui a plus de relation avec l’époque de l’invasion des Goths. Ammien Marcellin,
qui fixa sagement sa résidence dans la capitale comme dans le lieu le plus
convenable pour l’homme qui voulait écrire l’histoire de son siècle, a mélangé
le récit des événements publics, du tableau frappant de scènes particulières
dont il était tous les jours le témoin. Le lecteur judicieux n’approuvera pas
toujours l’amertume de sa censure, le choix des circonstances et des
expressions, et découvrira peut-être les préjugés secrets et les animosités
personnelles qui aigrissaient le caractère d’Ammien lui-même ; mais il
observera sûrement avec une curiosité philosophique le tableau original et
intéressant des mœurs de Rome [3567] .
La grandeur de Rome , dit Ammien, était fondée sur
l’alliance, rare et presque incroyable de la vertu la et de la fortune.
Weitere Kostenlose Bücher