Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
La
longue période de son enfance romaine, se passa en efforts contre les tribus de
l’Italie, voisines et ennemies d’une ville naissante. Dans la vigueur de sa
jeunesse, elle eut à soutenir les orages de la guerre ; elle porta ses armes
victorieuses au-delà des montagnes et des mers, et rapporta des lauriers
cueillis dans toutes les parties du globe. Déclinant enfin vers sa vieillesse,
et triomphant encore quelquefois par la terreur de son nom, elle chercha les
douceurs de l’aisance et de la tranquillité. La vénérable cité, qui avait foulé
les têts orgueilleuses des nations les plus fières, et établi un code de lois
pour protéger à jamais la justice et la liberté abandonna, en mère sage et
puissante, aux Césars, ses enfants favoris, le gouvernement de ses immenses
possessions [3568] . Une paix solide et profonde, qui rappelait le règne heureux de Numa, succéda
aux révolutions sanglantes de la république. Rome était toujours adorée comme
la reine de l’univers, et les nations vaincues respectaient encore la dignité
du peuple et la majesté du sénat ; mais cette ancienne splendeur , ajoute
Ammien, est ternie et déshonorée par la conduite de quelques-uns des nobles,
qui, oubliant et leur propre dignité et celle de leur pays, se livrent sans
pudeur aux excès du vice et de l’extravagance. Disputant entre eux de vanité et
de puérilité dans le choix de leurs titres et de leurs surnoms, ils adoptent ou
inventent des noms sonores et pompeux, Reburrus ou Fabunius, Pagonius ou
Tarrasius [3569] ,
afin de frapper la foule crédule d’étonnement et de respect. Dans la vaine
espérance de perpétuer leur mémoire, ils multiplient leurs statues en bronze et
en marbre, et ne sont point contents que ces monuments de leur vanité ne soient
couverts de lames d’or ; distinction honorable que le consul Acilius obtint le
premier, après avoir détruit, par sa valeur et son habileté, la puissance du
monarque Antiochos. L’ostentation avec laquelle ils exposent aux regards et
enflent peut-être l’état du revenu de leurs domaines situés dans toutes les
provinces de l’Orient et de l’Occident, excitent justement l’indignation,
lorsqu’on se rappelle la valeur et la pauvreté de leurs ancêtres, qui ne se
distinguaient du simple soldat ni par la nourriture ni par l’habillement ; mais
nos nobles modernes calculent leur rang et leur considération par l’élévation
de leurs chars [3570] ,
et par la pesante magnificence de leurs vêtements. Leurs longues robes de
pourpre et de soie flottent au gré du vent, et en s’agitant laissent apercevoir
ou par leur arrangement, ou par hasard, de riches tuniques ornées d’une
broderie qui représente la figure de différents animaux [3571] . Suivis d’un
train de cinquante serviteurs, leurs chars ébranlent les pavés en parcourant
les rues avec autant de rapidité que s’ils couraient la poste. Les matrones et
les dames romaines imitent hardiment l’exemple des sénateurs, et les chars
couverts parcourent sans cesse l’espace immense de la ville et des faubourgs.
Si quelque personnage d’une haute distinction daigne entrer dans un bain
public, il donne ses ordres d’un ton impérieux, et approprie insolemment à son
usage exclusif toutes les commodités destinées au peuple romain. Si dans ces
lieux de rendez-vous général pour toutes les classes, il rencontre par hasard
quelque méprisable agent de ses plaisirs, une tendre accolade exprime aussitôt
son affection, tandis qu’il évite orgueilleusement le salut de ses concitoyens,
auxquels il permet seulement d’aspirer à lui baiser la main ou les genoux.
Après avoir joui des plaisirs du bain, ces fastueux personnages reprennent
leurs bagues, leurs bijoux et les marques de leur dignité ; ils choisissent
dans leur garde-robe particulière, composée des plus fines étoffes et
suffisante pour une douzaine de personnes, les vêtements qui flattent le plus
leur fantaisie, et conservent jusqu’au départ un maintien arrogant, qu’on
aurait peut-être excusé dans le grand Marcellus après la conquête de Syracuse.
Quelquefois, à la vérité, ces héros entreprennent des expéditions plus hardies
; ils visitent leurs domaines en Italie, et se procurent l’amusement d’une
chasse dont leurs esclaves prennent tout le soin et la fatigue [3572] . S’il arrive
par hasard, et surtout dans un jour de chaleur, qu’ils aient le courage de
faire dans leurs galères dorées le trajet du lac
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