Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
célébrés
à l’occasion des triomphes [3538] .
La position escarpée de la ville de Narni, un orage et le tonnerre qui grondait
avec violence, sauvèrent cette petite ville. Le roi des Goths, dédaignant de
s’arrêter pour une si vile proie, continua de s’avancer avec la même ardeur ;
et, après avoir passé sous les superbes arcs de triomphe ornés des dépouilles
des Barbares, il déploya ses tentes sous les murs de Rome [3539] .
Durant le long espace de six cent quatre-vingt-dix ans, la
capitale du monde romain ne s’était, point vue insultée par la présence d’un
ennemi étranger. L’expédition malheureuse d’Annibal [3540] n’avait servi
qu’à faire briller la courageuse énergie du peuple et du sénat ; de ce sénat
qu’on dégradait plutôt que de l’élever en le comparant à une assemblée de rois,
et de ce peuple à qui l’ambassadeur de Pyrrhus attribuait les intarissables
ressources de l’hydre [3541] .
A l’époque de la guerre punique, tout sénateur devait accomplir son temps de
service militaire, ou dans un poste supérieur où dans des emplois subordonnés
; et le décret qui investissait d’un commandement temporaire tous ceux qui
avaient été censeurs, consuls où dictateurs, assurait à la république le
secours toujours prêt d’un grand nombre de généraux braves et expérimentés. Au
commencement de la guerre, le peuple romain se composait de deux cent cinquante
mille citoyens en âge de porter les armes [3542] .
Cinquante mille avaient déjà sacrifié leur vie à la défense de leur pays ; et
les vingt-trois légions qui composaient les différents camps de l’Italie, de la
Grèce, de la Sardaigne, de la Sicile et de l’Espagne, exigeaient environ cent
mille hommes ; mais il en restait encore autant dans Rome et dans les environs,
tous animés d’un courage intrépide, et accoutumés, dès leur plus tendre
jeunesse, aux exercices et à la discipline du soldat. Annibal vit avec
étonnement la fermeté du sénat, qui, sans lever le siége de Capoue, sans
rappeler les troupes dispersées, attendait tranquillement l’approche des
Carthaginois. Leur général campa sur les bords de l’Anio, à environ trois
milles de Rome ; sa surprise augmenta quand il apprit que le terrain sur lequel
était placée sa tente venait d’être vendu dans une enchère, au prix ordinaire,
et qu’on avait fait sortir de la ville, par la porte opposée, un corps de troupes
qui allait joindre les légions d’Espagne [3543] .
Annibal conduisit ses Africains aux portes de cette orgueilleuse capitale, et
trouva trois armées prêtes à le recevoir. Il craignit l’événement d’une
bataille dont il ne pouvait sortir victorieux sans immoler jusqu’au dernier de
ses ennemis, et sa retraite précipitée fut un aveu de l’invincible courage des
Romains.
Depuis l’époque de la guerre punique, la succession non
interrompue des sénateurs conservait encore l’image et le nom de la république
et les sujets dégénérés d’Honorius prétendaient tirer leur origine des héros
qui avaient repoussé. Annibal et soumis toutes les nations de la terré. Saint
Jérôme, qui dirigeait la conscience de la dévote Paula [3544] et qui a écrit
son histoire, a récapitulé avec soin tous les honneurs et les titres dont avait
hérité cette sainte, et dont elle faisait peu de cas. La généalogie de son
père, Rogatus qui remontait jusqu’à Agamemnon, pourrait faire soupçonner une
origine grecque ; mais sa mère Blœsile comptait Paul-Émile, les Scipions et les
Gracques, au nombre de ses ancêtres ; et Toxotius, le mari de Paula, tirait sa
royale origine d’Énée, tige de la race Julienne. Les citoyens opulents
voulaient être nobles, et satisfaisaient leur vanité par ces hautes
prétentions. Encouragés par les applaudissements de leurs parasites, ils en
imposaient aisément à la crédulité du peuple, et l’ancienne coutume d’adopter
le nom de son patron, qui avait toujours été suivie par les clients et les
affranchis des familles illustres, favorisait en quelque façon cette
supercherie. La plupart de ces anciennes familles, soumises à tant de causes de
destruction, soit intérieures, soit étrangères, s’étaient successivement
éteintes ; et l’on aurait trouvé plus aisément salis doute une filiation de
vingt générations dans les montagnes des Alpes ou dans les contrées paisibles
de l’Apulie, qu’à Rome, théâtre des coups de la fortune, des dangers et
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