Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
d’Alaric un regard d’indignation et d’espoir, et jurèrent une
guerre aussi juste qu’implacable à la nation perfide qui violait si bassement
les lois de l’hospitalité. Par cette conduite inconcevable, les ministres
d’Honorius perdirent non seulement trente mille des plus braves soldats de leur
armée, mais en firent leurs ennemis ; et le poids que devait mettre dans la
balance ce corps formidable, capable à lui seul de déterminer l’événement de la
guerre, passa dit parti .des Romains dans celui des Goths.
Dans les négociations comme dans les opérations militaires,
Alaric conservait sa supériorité sur des ennemis qui, n’ayant ni desseins ni
plans fixes, variaient sans cesse dans leurs résolutions. De son camp placé sur
les frontières de l’Italie, il observait attentivement les révolutions du
palais, épiait les progrès de l’esprit de mécontentement et de faction, et
déboisait avec soin les projets ennemis d’un conquérant et d’un Barbare, sous
l’apparence bien plus favorable d’ami et d’allié du grand Stilichon : il Bayait
sans peine un tribut de louanges et de regrets aux vertus d’un héros dont il
n’avait plus rien à redouter. L’invitation des mécontents qui le pressaient
d’entrer en Italie, s’accordait parfaitement avec le désir de venger sa
profonde injure. Alaric pouvait se plaindre, avec une sorte de justice, de ce
que les ministres d’Honorius éloignaient et éludaient même le paiement de
quatre mille livres d’or accordées par le sénat de Rome pour récompenser ses
services ou apaiser son ressentiment. La noble fermeté de ses discours était
accompagnée d’une apparence de modération qui contribua au succès de ses
desseins. Il demandait qu’on satisfît de bonne foi à ce qu’il avait droit
d’attendre ; mais il donnait les plus fortes assurances de sa promptitude à se
retirer aussitôt qu’il l’aurait obtenu. Il refusait de s’en fier au serment des
Romains, à moins qu’ils ne lui livrassent pour otages Ætius et Jason, les fils
des deux premiers officiers de l’empire ; mais il offrait de donner en échange
plusieurs jeunes gens des plus distingues de sa nation. Les ministres de
Ravenne regardèrent la modération d’Alaric comme une preuve évidente de sa
faiblesse et de ses craintes ; ils ne daignèrent ni entrer en négociation, ni
assembler, une armée ; et leur confiance insensée, soutenue par l’ignorance du
danger terrible qui les menaçait, négligea également le moment de faire la paix
et celui de se préparer à la guerre. Tandis que dans un silence méprisant ils
s’attendaient tous les jours à voir les Barbares évacuer l’Italie, Alaric, par
des marches rapides et hardies, passa les Alpes et le Pô, pilla presque sans
s’arrêter les villes d’Aquilée, d’Altinum, de Concordia et de Crémone, qui
succombèrent sous l’effort de ses armes. Il recruta son armée de trente mille
auxiliaires, et s’avança, sans rencontrer un seul ennemi qui s’opposât à son
passage, jusqu’au bord des marais qui environnaient la résidence inattaquable
de l’empereur d’Occident. Trop sage pour perdre son temps et consumer ses
forces en assiégeant une ville qu’il ne se flattait point d’emporter, il avança
jusqu’à Rimini, continua ses ravages sur les côtes de la mer Adriatique, et
médita la conquête de l’ancienne maîtresse du monde. Un ermite italien, dont le
zèle et la sainteté obtinrent le respect des Barbares eux-mêmes, vint au devant
du monarque victorieux, et lui annonça courageusement l’indignation du ciel
contre les oppresseurs de la terre ; mais Alaric embarrassa beaucoup le saint
en lui déclarant qu’il était entraîné presque malgré lui aux portes de Rome,
par une impulsion inconnue et surnaturelle. Le roi des Goths se sentait élevé
par sa fortune et son génie à la hauteur des entreprises les plus difficiles,
et l’enthousiasme qu’il inspirait aux Barbares effaça insensiblement l’antique
et presque superstitieuse vénération qu’imprimait encore aux nations la majesté
du nom romain. Ses troupes, animées par l’espoir du butin, suivirent la voie
Flaminienne, occupèrent les passages abandonnés de l’Apennin [3537] , descendirent
dans les plaines fertiles de l’Ombrie, et purent se rassasier à leur plaisir,
sur les bords du Clitumne, de la chair des bœufs sacrés, dont la race blanche
comme neige avait été si longtemps, réservée à l’usage des sacrifices
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