Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
des
révolutions. Sous chaque règne, une foule d’aventuriers accouraient de toutes
les provinces dans la capitale ; ceux qui faisaient fortune par leurs vices ou
par leurs talents, occupaient les palais de Rome, usurpaient les titres, les
honneurs, et opprimaient ou protégeaient les restes humbles et appauvris des
familles consulaires qui ignoraient peut-être l’ancienne gloire de leurs
ancêtres [3545] .
Du temps de saint Jérôme et de Claudien, les sénateurs
cédaient unanimement la préséance à la famille Anicienne ; et un léger coup
d’œil sur son histoire fera apprécier l’ancienneté des familles nobles qui ne
réclamaient que le second rang [3546] .
Durant les cinq premiers siècles de la république, le nom des Aniciens fut tout
à fait inconnu. Il parait qu’ils étaient originaires de Préneste, et ces
nouveaux citoyens se contentèrent longtemps des honneurs plébéiens accordés aux
tribuns du peuple [3547] .
Cent soixante-huit ans avant l’ère chrétienne, la charge de préteur conférée à
Anicius anoblit sa famille. Il termina glorieusement la guerre d’Illyrie par la
captivité du roi et la conquête de la nation [3548] . Depuis le
triomphe de ce général, trois consulats, à des époques éloignées l’une de
l’autre, marquèrent la filiation des Aniciens [3549] . Depuis le
règne de Dioclétien jusqu’à la destruction totale de l’empire d’Occident,
l’éclat de leur nom ne le céda pas, dans l’opinion, du peuple à la pourpre impériale [3550] . Les
différentes branches qui le portèrent réunirent, on par des mariages, ou par
des successions, les honneurs et les richesses des familles Anicienne,
Pétronienne et Olybrienne, et à chaque génération, le nombre des consulats s’y
multiplia par une espèce de droit héréditaire [3551] . La famille
Anicienne surpassait toutes les autres par sa piété comme par ses richesses.
Les Aniciens furent les premiers du sénat qui embrassèrent le christianisme :
on peut supposer qu’Anicius Julien, depuis consul et préfet de Rome, expia par
sa prompte docilité à accepter la religion de Constantin, le crime d’avoir
suivi le parti de Maxence [3552] .
Probus, chef de la maison des Aniciens augmenta par son industrie l’opulence de
la famille. Il partagea avec l’empereur Gratien les honneurs du consulat, et
occupa quatre fois le poste distingué de préfet du prétoire [3553] . Ses vastes
possessions étaient répandues dans toutes les provinces de l’empire romain ;
et, quoique les moyens dont il s’était servi pour les acquérir ne fussent pas
peut-être à l’abri du blâme ou du soupçon, la magnificence et le générosité de
cet heureux ministre obtinrent là reconnaissance de ses clients et l’admiration
des étrangers [3554] .
Les Romains avaient une si grande vénération pour la mémoire de Probus, qu’ai
la requête du sénat, ses deux, fils, encore très jeunes, occupèrent
conjointement les deux places de consuls ; les annales de Rome n’offrent point
d’exemples d’une pareille distinction [3555] .
Les marbres du palais Anicien passèrent en proverbe pour
exprimer la richesse et la magnificence [3556] ; mais les nobles et les sénateurs s’efforçaient, selon leurs facultés,
d’imiter cette famille illustre. La description de Rome, faite avec soin sous
le règne de Théodose, contient l’énumération de dix-sept cent quatre-vingts
maisons habitées par des citoyens opulents [3557] .
Plusieurs de ces superbes bâtiments pourraient presque excuser l’exagération du
poète qui prétend Bile Rome renfermait un grand nombre de palais, dont chacun
était aussi grand qu’une ville. On trouvait effectivement dans leur enceinte
tout ce qui pouvait servir au luxe ou à l’utilité ; des marchés, des
hippodromes, des temples, des fontaines, des bains, des portiques, des bocages
et des volières [3558] .
L’historien Olympiodore, qui décrit l’état de la ville de Rome [3559] au moment où
les Goths l’assiégèrent, observe que quelques-uns des plus riches sénateurs
tiraient de leur patrimoine un revenu de quatre mille livres pesant d’or, ou
cent soixante mille livres sterling, sans compter les redevances fixées pour
leur provision en blé et en vins, et qui, si elles eussent été vendues,
auraient pu s’évaluer à un tiers de la somme précédente. En comparaison de ces
fortunes énormes, un revenu de mille ou quinze cents livres pesant d’or pouvait
paraître comme suffisant à
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