Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
libéraux ne purent
obtenir d’en être dispensés [3598] .
On prétend qu’Élagabale eut l’extravagance de vouloir juger
le nombre des habitants de Rome par la quantité des toiles d’araignées. Il eût
été digne des plus sages empereurs d’employer à cette recherche des moyens
moins ridicules. Ils auraient pu facilement résoudre une question si importante
pour le gouvernement romain, si intéressante pour la postérité. On enregistrait
exactement la mort et la naissance de tous les habitants et si quelqu’un des
écrivains de l’antiquité avait daigné nous conserver le résultat de ces listes
annuelles, ou simplement celui de l’année commune nous pourrions présenter un
calcul satisfaisant qui détruirait probablement les assertions exagérées des
critiques, et confirmerait peut être les conjectures plus modérées et plus
probables des philosophes [3599] .
Les recherches les plus exactes à ce sujet n’ont pu fournir que les faits
suivants, qui, bien qu’insuffisants, peuvent cependant jeter quelque jour sur
la question de la population de l’ancienne Rome. 1° Lorsque la capitale de
l’empire fut assiégée par les Goths, le mathématicien Ammonius mesura
exactement l’enceinte de Rome, et trouva que la circonférence était de vingt et
un milles [3600] .
On ne doit pas oublier, que le plan de la ville formait presqu’un cercle, et
que cette figure géométrique est celle qui contient le plus d’espace dans une
circonférence donnée. 2° L’architecte Vitruve, qui vivait du temps d’Auguste,
et dont l’autorité a un grand poids dans cette occasion, observe que, pour que
les habitations du peuple romain ne s’étendissent pas fort au-delà des limites
de la ville ; le manque de terrain, probablement resserré de tous côtés par des
jardins et des maisons de campagne, suggéra la pratique ordinaire, quoique
incommode, d’élever les maisons à une hauteur considérable [3601] : mais
l’élévation de ces bâtiments, souvent construits à la hâte et avec de mauvais
matériaux, occasionna des accidents fréquents et funestes ; et les édits
d’Auguste et de Néron défendirent plusieurs fois d’élever les maisons des
particuliers, dans l’enceinte de Rome, à plus de soixante-dix pieds du niveau
des fondements [3602] .
3° Juvénal [3603] déplore, à ce qu’il paraîtrait, d’après sa propre expérience, les souffrances
des citoyens malaisés auxquels il conseille de s’éloigner au plus vite de la
fumée de Rome, et d’acheter, dans quelque petite ville de l’Italie, une maison
commode, dont le prix n’excédera pas celui qu’ils paient annuellement pour
occuper un galetas dans la capitale. Les loyers y étaient donc excessivement
chers. Les riches sacrifiaient des sommes immenses à l’acquisition du terrain
où ils construisaient leurs palais et leurs jardins. Mais le gros du peuple se
trouvait entassé dans un petit espace, et les familles des plébéiens se
partageaient, comme à Paris et dans beaucoup d’autres villes, les différents
étages et les appartements d’une même maison. 4° On trouve dans la description
de Rome, faite avec exactitude sous le règne de Théodose, que la totalité des
maisons des quatorze quartiers de la ville montait à quarante-huit mille trois
cent quatre-vingt-deux [3604] .
Les deux classes de domiciles comprenaient, sous le nom de domus et d’ insulœ ,
toutes les habitations de la capitale, depuis le superbe palais des Aniciens
avec les nombreux logements des affranchis et des esclaves, jusqu’à’
l’hôtellerie étroite et élevée où le poète Codrus occupait avec sa femme un
misérable grenier, immédiatement sous les tuiles. En adoptant l’évaluation
commune qu’on a cru pouvoir appliquer à la ville de Paris, où les habitants
sont distribués à peu près de la même manière qu’ils l’étaient à Rome [3605] , et en
s’accordant vingt-cinq personnes par maison de toute espèce, nous évaluerons
les habitants de Rome à douze cent mille ; et ce nombre ne peut paraître
excessif pour la capitale d’un puissant empire, quoiqu’il excède la population
des plus grandes villes de l’Europe moderne [3606] .
Tel était l’état de Rome sous le règne d’Honorius, au moment
où les Goths en formèrent le siège ou plutôt le blocus [3607] . Par une
disposition habile de sa nombreuse armée, qui, attendait avec impatience le
moment de l’assaut, Alaric environna toute l’enceinte des murs, masqua
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