Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les plus utiles et, en ce sens, les plus
respectables de la société civile ; mais les plébéiens de Rome, qui
dédaignaient les arts serviles et sédentaires avaient été écrasés, dès les
premiers temps de la république, sous le poids des dettes et de l’usure, et le
laboureur était forcé d’abandonner ses cultures durant le terme de son service
militaire [3583] .
Les terres de l’Italie, originairement partagées entre plusieurs familles de
propriétaires libres et indigents, passèrent insensiblement dans les mains
avides de la noblesse romaine, qui tantôt les achetait et tantôt les usurpait.
Dans le siècle qui précéda la destruction de la république, on ne comptait que
deux mille citoyens qui possédassent une fortune indépendante [3584] . Cependant,
aussi longtemps que les suffrages du peuple conférèrent les dignités de l’État,
le commandement des légions et l’administration des opulentes provinces, un
sentiment d’orgueil servit à adoucir jusqu’à un certain point les rigueurs de
la pauvreté, et le nécessiteux trouvait une ressource dans l’ambitieuse
libéralité des candidats, cherchant par leurs largesses à s’assurer une
majorité de suffrages dans les trente-cinq tribus, ou les cent
quatre-vingt-treize centuries, dont le peuple de Rome était composé ; mais,
lorsque les prodigues communes eurent imprudemment aliéné leur puissance et
celle de leur postérité, elles n’offrirent plus, sous le règne des Césars,
qu’une vile populace qui aurait été bientôt anéantie si elle n’avait été
recrutée à chaque génération par la manumission des esclaves et l’affluence des
étrangers. Dès le temps d’Adrien, les Romains de bonne foi reconnaissaient avec
regret que la capitale avait attiré dans son sein tous les vices de l’univers
et les mœurs des nations les plus opposées. L’intempérante des Gaulois, la ruse
et l’inconstance des Grecs, la farouche opiniâtreté des Juifs et des Égyptiens,
la basse soumission des Asiatiques et la dissolution efféminée des Syriens, se
trouvaient réunies dans une multitude d’hommes qui, sous la vaine et fausse
dénomination de Romains, dédaignaient leurs concitoyens et même leurs monarques
parce qu’ils n’habitaient point dans l’enceinte de la cité éternelle [3585] .
Cependant on prononçait encore le nom de Rome avec respect,
on souffrait avec indulgence les fréquents et tumultueux caprices de ses
habitants ; et les successeurs de Constantin, au lieu d’anéantir les faibles
restes de la démocratie par le despotisme de la puissance militaire, adoptèrent
la politique modérée d’Auguste, et s’occupèrent de soulager l’indigence et de
distraire l’oisiveté du peuple de la capitale [3586] . 1° Pour la
commodité des plébéiens paresseux, on substitua aux distributions de grains qui
se faisaient tous les mois, une ration de pain que l’on délivrait tous des
jours ; un grand nombre de fours furent construits et entretenus aux frais du
public ; et à l’heure fixée, chaque citoyen, muni d’un billet, montait
l’escalier qui avait été assigné à son quartier ou à sa division, et recevait,
ou gratis, ou à très bas prix, un pain du poids de trois livres pour la
subsistance de sa famille. 2° Les forêts de la Lucanie, dont les glands
servaient à engraisser du gros bétail et des porcs sauvages [3587] , fournissaient,
en manière de tribut, une grande abondance de viande saine et à bas prix.
Durant cinq mois de l’année, on faisait aux citoyens pauvres une distribution
régulière de porc salé ; et la consommation annuelle de la capitale, dans un
temps où elle était déjà fort déchue de son ancienne splendeur, fut fixée et
assurée par un édit de Valentinien III, à trois millions six cent vingt-huit
mille livres [3588] .
3° Les usages de l’antiquité faisaient de l’huile un besoin indispensable pour
la lampe et pour le bain ; et la taxe annuelle imposée sur l’Afrique au
profit de Rome, montait au poids de trois millions de livres, faisant à peu
près trois cent mille bouteilles mesure anglaise. 4° Auguste, en apportant le
plus grand soin à approvisionner sa capitale d’une quantité de grains suffisante,
s’était borné à cet article de première nécessité ; et lorsque le peuple se
plaignait de la cherté et de la rareté du vin, une proclamation de ce grave
réformateur rappelait à ses sujets qu’aucun dieux ne pouvait se plaindre
raisonnablement de la
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