Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Babylone
spirituelle [3650] .
La retraite des Goths victorieux, qui évacuèrent Rome le
sixième jour [3651] ,
pouvait être motivée par la prudence ; mais elle ne fut probablement pas
l’effet de la crainte [3652] .
A la tête d’une armée chargée de riches et pesantes dépouilles, l’intrépide
Alaric s’avança, le long de la voie Appienne, dans les provinces méridionales
de l’Italie, détruisant tout ce qui osait s’opposer à son passage et se
contentant de piller les pays qui ne lui offraient aucune résistance. Nous
ignorons quel fût le sort de Capoue, l’orgueilleuse et voluptueuse capitale de
la Campanie, qui, bien que déchue de son ancienne grandeur, passait encore pour
le huitième ville de l’empire [3653] ,
tandis que Nole, située dans ses environs [3654] ,
a été illustrée dans cette occasion par la sainteté de Paulin [3655] , qui fut
successivement consul, moine et enfin évêque. A l’âge de quarante ans, il
renonça aux richesses, aux honneurs et aux plaisirs de la société et de la
littérature, pour embrasser une vie de solitude et de pénitence ; les vifs
applaudissements du clergé l’encouragèrent à mépriser les reproches de ses amis
mondains qui attribuaient une conduite si extraordinaire à quelque indisposition
du corps ou de l’esprit [3656] .
La dévotion passionnée qu’il portait depuis longtemps à saint Félix le
détermina à fixer son humble résidence dans un des faubourgs de Nole, près de
la tombe miraculeuse de ce saint, que la piété publique avait déjà environné de
cinq églises vastes et fréquentées. Saint Paulin dévoua les restes de sa
fortune et de ses talents au service du glorieux martyr. Il ne manquait jamais
de célébrer le jour de sa fête par un hymne solennel. Il fit construire et lui
dédia une sixième église plus magnifique que les autres, et ornée d’un grand
nombre de tableaux, dont le sujet était tiré de l’Ancien et du Nouveau
Testament. Un zèle si assidu lui assura la faveur du saint [3657] , ou du moins
celle du peuple. Après quinze ans de retraite le consul romain fût forcé
d’accepter l’évêché de Nole, peu de mois avant l’époque où cette ville fut
investie par les troupes d’Alaric. Durant le siége, quelques personnages pieux
se persuadèrent, qu’ils avaient aperçu en songe ou en vision la figure divine de
leur saint protecteur. Cependant l’événement prouva que saint Félix manquait ou
de pouvoir ou de volonté pour sauver son ancien troupeau. Nole essuya sa part
de la dévastation générale [3658] ,
et son évêque captif ne dut son salut qu’à sa réputation d’innocence et de
pauvreté. Depuis l’invasion de l’Italie par Alaric jusqu’à la retraite
volontaire des Goths sous la conduite d’Adolphe, son successeur, ils furent,
durant plus de quatre ans, les maîtres de l’Italie, et régnèrent despotiquement
sur un pays qui, au jugement des anciens, réunissait tous les avantages de la
nature et toutes les perfections de l’art. Le degré de prospérité auquel
l’Italie était parvenue dans le siècle heureux des Antonins, avait, à la
vérité, décliné avec la gloire de l’empire. Les fruits d’une longue paix
périrent sous la main grossière des Barbares, peu susceptibles de goûter les
élégantes délicatesses d’un luxe destiné aux doux et polis habitants de
l’Italie. Chaque soldat cependant se faisait assigner une ample portion de
solides approvisionnements, tels que le grain les troupeaux, l’huile et le vin,
qui venaient tous les jours s’engloutir dans le camp des Goths ; et les chefs
allaient piller les maisons de campagne et les jardins situés sur la délicieuse
côte de Campanie, précédemment habités par Lucullus ou par Cicéron. Leurs
captifs tremblants, fils et filles de sénateurs romains, présentaient, dans des
vases d’or et de pierres précieuses, le vin de Falerne à leurs orgueilleux
vainqueurs étendus de toute la longueur de leurs vastes corps à l’ombre des
platanes [3659] industrieusement entrelacés, de manière à préserver des rayons brûlants du
soleil, sans intercepter sa vivifiante chaleur. Ces jouissances étaient encore
relevées par le souvenir de leurs dangers et de leurs travaux ; la comparaison
de leur pays natal, des mornes et stériles collines de la Scythie et des bords
glacés de l’Elbe et du Danube, ajoutait pour eux de nouveaux charmes aux
délices de l’Italie [3660] .
Quel qu’ait été l’objet d’Alaric,
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