Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
la Gaule qu’ils
attaquaient pouvaient être considérées comme rebelles au gouvernement
d’Honorius. Adolphe avait toujours pour excuser de ses usurpations apparentes
les articles du traité ou les instructions sécrètes de la cour impériale ;
et on pouvait toujours, avec une sorte de vérité, imputer à l’indocilité
inquiète et indisciplinable des Barbares les actes d’hostilité irréguliers qui
n’était point légitimés par le succès. Le luxe de l’Italie avait moins servi à
adoucir la férocité des Goths qu’à amollir leur courage ; ils avaient adopté
les vices des nations civilisées, sans en imiter les arts ou les institutions [3665] .
Les protestations d’Adolphe étaient probablement sincères,
et l’ascendant qu’une princesse romaine prit sur le cœur et sur l’esprit du
monarque des Goths, devint un garant de sa fidélité pour les intérêts de
l’empire. Placidie [3666] ,
fille du grand Théodose, et de sa seconde femme Galla, avait été élevée dans le
palais de Constantinople ; mais les événements dont est remplie sa vie se
trouvent liés avec les révolutions qui agitèrent l’empire d’Occident sous le
règne de son frère Honorius. Lorsque Rome fut investie, pour la première fois
par Alaric, Placidie, âgée d’environ vingt ans, habitait la capitale ; et la
facilité avec laquelle cette princesse consentit à la mort de Sérène, sa
cousine, pourrait la faire soupçonner d’une ingratitude et d’une cruauté que,
selon les circonstances qui accompagnèrent cette action, sa jeunesse peut ou
excuser ou aggraver [3667] .
Les Barbares retinrent la sœur d’Honorius en captivité ou en otage [3668] ; mais quoique
forcée de parcourir l’Italie avec l’armée des Barbares, elle fut toujours
traitée avec les égards et le respect dus à son sexe et à son rang. Jornandès
fait l’éloge de la beauté de Placidie ; mais le silence expressif des
courtisans de cette princesse peut faire raisonnablement douter des grâces de
sa figure. Cependant, sa haute naissance, sa jeunesse, l’élégance de ses
manières et les adroits moyens d’insinuation qu’elle ne dédaigna point
d’employer, firent une impression profonde dans le cœur d’Adolphe ; et le
monarque des Goths eut l’ambition de devenir le frère de l’empereur. Les
ministres d’Honorius rejetèrent dédaigneusement la proposition d’une alliance
si honteuse pour la fierté romaine, et pressèrent à plusieurs reprises le
renvoi de Placidie comme une condition indispensable du traité de paix : mais
la fille de Théodose se soumit sans répugnance aux désirs d’un conquérant jeune
et intrépide, qui, ne le cédant à Alaric que par la taille et par la force du
corps, l’emportait sur son prédécesseur par les avantages séduisants de la
grâce et de la beauté. Le mariage d’Adolphe et de Placidie [3669] fut consommé
avant que les Goths évacuassent l’Italie, et ils célébrèrent la fête ou
peut-être l’anniversaire de leur union dans la maison d’Igenuus, un des plus
illustres citoyens de Narbonne. La princesse, vécue comme une impératrice,
s’assit sur un trône élevé ; et le roi des Goths habillé, dans cette cérémonie,
à la romaine, se plaça à côté d’elle sur un siège moins éminent. Les dons qu’il
offrit à son épouse, selon l’usage des Barbares, étaient composés des plus
magnifiques dépouilles du pays de Placidie [3670] .
Cinquante jeunes hommes de la plus belle figure et vêtus de robes de soie,
portaient un bassin dans chaque main : l’un était rempli de pièces d’or, et
l’autre de pierreries d’un prix inestimable. Attale, si longtemps le jouet de
la fortune et des Goths, conduisait le chœur qui faisait entendre le chant
d’hyménée, et cet empereur déposé aspirait peut-être à la gloire d’être regardé
comme un habile musicien. Les Barbares jouissaient avec orgueil de leur
triomphe, et les habitants du pays se félicitaient d’une alliance qui, par l’influence
de l’amour et de la raison, pourrait adoucir la fierté du Barbare qu’ils
avaient pour maître [3671] .
Les cent bassins remplis d’or et de diamants que Placidie
reçut le jour de la fête nuptiale, n’étaient qu’une très petite partie des
trésors de son mari, dont l’histoire des successeurs d’Adolphe offre quelques
échantillons assez extraordinaires. On trouva dans leur palais de Narbonne,
lorsque les Francs le pillèrent dans le sixième siècle, soixante
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