Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
gobelets ou
calices, quinze patènes pour l’usage de la communion, vingt boites ou coffres
pour conserver les saintes Écritures : tous ces objets étaient d’or massif,
enrichis de pierres d’un grand prix. Le fils de Clovis distribua ces richesses
sacrées [3672] aux églises de ses États ; et sa pieuse libéralité semble inculper les Goths de
quelque sacrilège. Leur conscience devait être plus tranquille sur la
possession du fameux missorium , un plat d’une grandeur extraordinaire
d’or massif du poids de cinq cents livres, destiné au service de la table,
d’une valeur inestimable par la main-d’œuvre et les diamants dont il était
incrusté, et par la tradition qui le faisait regarder comme un présent du
patrice Ætius, offert à Torismond roi des Goths. Un des successeurs de
Torismond acheta le secours du roi des Francs par la promesse de ce don
magnifique. Lorsqu’il eut pris possession du trône d’Espagne, le prince goth le
remit à regret aux ambassadeurs de Dagobert, mais le fit reprendre sur la route
; et, après avoir longtemps négocié pour convenir d’une rançon, il donna la somme
relativement très modique, de deux cent mille pièces d’or, et conserva le missorium comme le plus glorieux ornement du trésor des rois goths [3673] . Lorsque les
Arabes conquirent l’Espagne et pillèrent ce trésor, ils trouvèrent une
curiosité encore plus précieuse dont ils ont admiré et célébré la
munificence : c’était une table fort grande, formée d’une seule émeraude [3674] , entourée de
trois rangs de perles, soutenue par trois cent soixante-cinq pieds d’or massif,
incrustée de pierres précieuses, et estimée à la valeur de cinq cent mille
pièces d’or [3675] .
Une partie des trésors du roi des Goths pouvait provenir des dons de l’amitié
ou des tributs de l’obéissance ; mais la principale avait sans doute été le
fruit de la guerre, et consistait en dépouilles arrachées à l’empire et
peut-être à la ville de Rome.
Lorsque les Goths eurent évacué l’Italie, on permit à
quelque conseiller obscur de s’occuper, au milieu des factions du palais, à
soulager les maux de ce pays désolé [3676] .
Par un règlement sage et humain, les huit provinces qui avaient le plus
souffert, savoir, la Campanie, la Toscane, le Picenum ou Picentin, le Samnium,
l’Apulie ou la Pouille, la Calabre, le Bruttium et la Lucanie ou Basilicate,
obtinrent pour cinq ans une diminution de tributs ; celui qu’elles payaient
ordinairement fut réduit à un cinquième, qu’on destina même à rétablir et à
défrayer l’institution utile des postes publiques. Une autre loi accorda, avec
une diminution de taxe, aux voisins ou aux étrangers qui voudraient les
occuper, la possession des terres restées sans culture et sans habitants, et on
les mit à l’abri des réclamations futures des propriétaires fugitifs. A peu
près dans le même temps les ministres d’Honorius publièrent en son nom une
amnistie générale qui abolissait la mémoire de toutes les offenses involontaires commises par ses malheureux sujets durant les désordres et les calamités
publiques. On s’appliqua avec un soin convenable et décent à la restauration de
la capitale ; on encouragea les citoyens à reconstruire les édifices détruits
ou endommagés par l’incendie et on fit venir des côtés d’Afrique des secours
extraordinaires de grains. L’espoir de l’abondance et des plaisirs rappela
bientôt la foule qui avait fui si récemment l’épée des Barbares ; et Albinus,
préfet de Rome, instruisit la cour, non sans quelque surprise et quelque
inquiétude, du compte qu’on lui avait rendu en un seul jour de l’arrivée de
quatorze mille étrangers [3677] .
En moins de sept ans, il ne resta presque plus de vestiges de l’invasion des
Goths ; et Rome, avec la tranquillité, reprit son ancienne splendeur ; cette
vénérable matrone replaça sur sa tête la couronne de lauriers que lui avaient
enlevée les orages de la guerre, et se laissa amuser, jusqu’au moment de sa
chute, par des prédictions de vengeance, de victoire et de domination éternelle [3678] .
Cette apparence de tranquillité fut bientôt troublée par
l’approche d’une flotte ennemie qui s’avançait vers Rome du pays d’où ses
habitants tiraient leur subsistance journalière. Héraclien, comte d’Afrique,
dans les circonstances les plus critiques et les plus désespérées, avait
soutenu, par ses fidèles services, le
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