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Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Titel: Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edward Gibbon
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jalousie d’un complice découvrit cette singulière
entreprise, et la fit manquer au moment que tout était prêt pour l’exécution [320] .
    Les princes soupçonneux donnent souvent leur confiance  aux
derniers de leurs sujets, dans cette fausse persuasion que des hommes sans
appui, et tirés tout à coup d’un état vil, seront entièrement dévoués à la
personne de leur bienfaiteur. Cléandre, successeur de Perennis, avait pris
naissance en Phrygie ; il était d’une nation dont le caractère vil et
intraitable ne pouvait être soumis que par les traitements les plus durs [321] . Envoyé à Rome
comme esclave, il servit d’abord dans le palais impérial, et s’y rendit bientôt
nécessaire à son maître, en flattant ses passions. Enfin, il monta rapidement
au premier rang de l’empire ; son influence sur l’esprit de Commode fut
encore plus grande que celle de son prédécesseur. En effet, Cléandre n’avait
aucun de ces talents, capables d’exciter la jalousie de l’empereur, ou de lui
inspirer de la méfiance. L’avarice était la passion dominante, de cette âme
vile, et le grand principe de son administration. On vendait publiquement les
dignités de consul, de patricien et de sénateur. Un citoyen sacrifiait la plus
grande partie de sa fortune pour obtenir ces vains honneurs [322] . Son refus de
les acheter aurait été interprété comme une marque secrète de mécontentement.
Dans les provinces, le ministre partageait avec les gouverneurs les dépouilles
du peuple ; l’administration de la justice était vénale et arbitraire. Non
seulement un criminel opulent obtenait avec facilité la révocation de la
sentence qui le condamnait, mais il pouvait aussi faire retomber la peine sur
l’accusateur, les témoins et le juge, et ordonner même de leur supplice.
    Dans l’espace de trois ans, Cléandre amassa des trésors
immenses : on n’avait point encore vu d’affranchi posséder tant de richesses [323] . Commode, séduit
par les présents magnifiques que l’habile courtisan déposait à propos au pied
du trône, fermait les yeux sur sa conduite. Cléandre crut aussi pouvoir imposer
silence à l’envie. Il fit élever, au nom de l’empereur, des bains, des
portiques et des places destinées aux exercices publics [324] . Il se flattait
que les Romains, trompés par cette libéralité apparente, seraient moins touchés
des scènes sanglantes qui frappaient tous les jours leurs regards ; il espérait
qu’ils oublieraient la mort de Byrrhus, sénateur d’un mérite éclatant, et
gendre du dernier empereur, et qu’ils perdraient le souvenir de l’exécution
d’Arias Antoninus, le dernier qui eût hérité du nom et de la vertu des
Antonins. L’un, plus vertueux que prudent, avait essayé de découvrir à son
beau-frère le véritable caractère du favori. Le crime de l’autre était d’avoir
prononcé, lorsqu’il commandait en Asie, une sentence équitable contre une des
indignes créatures de Cléandre [325] .
Après la chute de Perennis, les terreurs de Commode, s’étaient montrées sous
les apparences d’un retour à la vertu. 0n l’avait vu casser les actes les plus
odieux de ce ministre, livrer sa mémoire â l’exécration publique, et attribuer
à ses conseils pernicieux les fautes d’une jeunesse sans expérience. Ce
repentie ne dura que trente jours, et la tyrannie de Cléandre fit souvent
regretter l’administration de Perennis.
    La peste et la famine vinrent mettre le comble aux calamités
de Rome [326] .
Le premier de ces maux pouvait être imputé à la juste colère des dieux :
on crut s’apercevoir que le second prenait sa source dans un monopole de blés
soutenu par les richesses et par l’autorité du ministre. On se plaignit d’abord
en secret ; enfin le mécontentement public éclata dans une assemblée du
cirque. Le peuple quitta ses amusements favoris pour goûter le plaisir plus
délicieux de la vengeance. Il courut en foule vers un palais situé dans un des
faubourgs de la ville, et l’une des maisons de plaisance de l’empereur. L’air
retentit aussitôt de clameurs séditieuses. L’on demandait à haute voix la tête
de l’ennemi public. Cléandre, qui commanda les gardes prétoriennes [327] , fit sortir un
corps de cavalerie pour dissiper les mutins. La multitude prit la fuite avec
précipitation du côté de la ville. Plusieurs personnes restèrent sur la
place ; d’autres, en plus grand nombre, furent mortellement
blessées : mais

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