Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
plus féroces animaux disputent
souvent à l’homme la possession d’un pays inculte, une guerre terminée
heureusement contre ces cruels ennemis, est l’entreprise la plus digne d’un
héros, et la plus utile au genre humain. Lorsque l’empire romain se fut élevé
sur les débris de tant d’États déjà civilisés, depuis longtemps les bêtes
farouches fuyaient l’aspect de l’homme, et s’étaient retirées loin des grandes
habitations : il fallait traverser des déserts pour les surprendre dans
leurs retraites ; et on les transportait ensuite, à grands frais, dans
Rome, où elles tombaient, avec une pompe solennelle, sous les coups d’un
empereur. De pareils exploits ne pouvaient que déshonorer le prince et opprimer
le peuple [331] .
Ces considérations échappèrent à Commode : il saisit avidement une
ressemblance glorieuse, et s’appela lui-même l’Hercule romain. Ce nom paraît
encore aujourd’hui, sur quelques-unes de ses médailles [332] . On voyait
auprès du trône, parmi les autres marques de la souveraineté, la massue et la
peau de lion. Enfin l’empereur eut des statues où il était représenté dans
l’attitude et avec les attributs de ce dieu dont il s’efforçait tous les jours,
dans le cours de ses amusements féroces, d’imiter l’adresse et le courage [333] .
Enivré par ces louanges qui étouffaient en lui par degrés
tout sentiment de respect humain, Commode résolut de donner au peuple romain un
spectacle dont jusqu’alors quelques favoris avaient seuls été témoins dans
l’enceinte du palais. Au jour fixé, la flatterie, la craint, la curiosité,
attirèrent à l’amphithéâtre une multitude innombrable. D’abord on admira
l’adresse merveilleuse du prince qu’il visât au cœur, ou à la tête de l’animal,
le coup était également sûr et mortel. Armé de flèches dont la pointe se
terminait en forme de croisant, Commode arrêtait souvent la course rapide de
l’autruche, et coupait en deux le long cou de cet oiseau [334] . Une panthère
venait d’être lâchée, déjà elle se jetait sur un criminel tremblant :
aussitôt le trait vole, la bête tombe, et l’homme échappe à la mort. Cent lions
remplissent à la fois l’amphithéâtre ; cent dards, partis de la main assurée de
Commode, les percent à mesure qu’ils parcourent l’arène. Ni la masse énorme de
l’éléphant ni la peau impénétrable du rhinocéros ne peuvent garantir ces
animaux du coup fatal. L’Inde et l’Éthiopie avaient fourni leurs animaux les
plus rares ; et, de tous ceux qui parurent dans l’amphithéâtre, plusieurs
n’étaient connus que par les ouvrages des peintres et les descriptions des
poètes [335] .
Dans tous ces jeux, on prenait toutes les précautions imaginables pour ne pas
exposer la personne de l’Hercule romain à quelque coup désespéré de la part
d’un de ces sauvages animaux, qui aurait bien pu conserver peu d’égards pour la
dignité de l’empereur ou la sainteté du dieu [336] .
Mais le dernier de la populace ne put voir sans indignation
son souverain entrer en lice comme gladiateur, et se glorifier d’une profession
déclarée infâme, à si juste titre, par les lois et par lés mœurs des Romains [337] . Commode choisit
l’habillement et les armes du sécuteur , dont le combat avec le rétiaire formait une des scènes les plus vives dans les jeux sanglants de
l’amphithéâtre. Le sécuteur était armé d’un casque, d’une épée et d’un
bouclier. Son antagoniste, nu, tenait d’une main un filet qui lui servait à
envelopper son ennemi, et de l’autre un trident pour le percer. S’il manquait
le premier coup, il était forcé de fuir et d’éviter la poursuite du sécuteur,
jusqu’à ce qu’il fût de nouveau préparé à jeter son filet [338] . L’empereur
combattit sept cent trente-cinq fois comme gladiateur. On avait soin d’inscrire
ces exploits glorieux dans les fastes de l’empire, et Commode, pour mettre le
comble à son infamie, se fit payer, sur les fonds des gladiateurs, des gages si
exorbitants, qu’ils devinrent pour le peuple romain une taxe nouvelle autant
qu’ignominieuse [339] .
On supposera facilement que le maître du monde sortait toujours vainqueur de
ces sortes de combats. Dans l’amphithéâtre, ses victoires n’étaient pas
toujours sanglantes ; mais lorsqu’il exerçait son adressé dans l’école des
gladiateurs ou dans son propre palais, ses infortunés antagonistes recevaient
souvent
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