Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
lorsque la cavalerie prétorienne voulut s’avancer dans les
rues, elle fut arrêtée par les pierres et les dards que les habitants faisaient
pleuvoir du haut de leurs maisons. Les gardes à pied [328] , jalouses depuis
longtemps des prérogatives et de l’insolence de la cavalerie prétorienne,
embrassèrent le parti du peuple. Le tumulte devint une action régulière, et fit
craindre un massacre général. Enfin les prétoriens, forcés de céder au nombre,
lâchèrent pied, et les flots de la populace en fureur vinrent de nouveau se
briser, avec une violence redoublée, contre les portes du palais. Commode,
plongé dans la débauche, ignorait seul les périls qui le menaçaient. C’était
s’exposer à la mort que de lui annoncer de fâcheuses nouvelles. Ce prince avait
été victime de son indolente sécurité, sans le courage de deux femmes de sa
cour, Fadilla, sa sœur aînée, et Marcia, la plus chérie de ses concubines, se
hasardèrent à paraître en sa présence. Les cheveux épars, et baignées de
larmes, elles se jetèrent à ses pieds, et, animées par cette éloquence forte
qu’inspire le danger, elles peignirent vivement la fureur du peuple, les crimes
du ministre, et l’orage prêt à l’écraser sous les ruines de son palais.
L’empereur, effrayé sort tout à coup de l’ivresse, du plaisir, et, fait exposer
la tête du ministre aux regards avides de la multitude. Ce spectacle si désiré
apaisa le tumulte. Le fils de Marc-Aurèle pouvait encore regagner le cœur et la
confiance de ses sujets [329] .
Mais tout sentiment de vertu et d’humanité était éteint dans
l’âme de Commode. Laissant flotter les rênes de l’empire entre les mains
d’indignes favoris, il n’estimait de la puissance souveraine que la liberté de
pouvoir se livrer, sans aucune retenue, à toutes ses passions. Il passait sa
vie dans un sérail rempli de trois cents femmes remarquables par leur beauté et
d’un pareil nombre de jeunes garçons de tout rang et de tout état. Lorsqu’il ne
pouvait réussir par la voie de la séduction, cet indigne amant avait recours à
la violence. Les anciens historiens [330] n’ont point rougi de décrire avec une certaine étendue ces scènes honteuses de
prostitution, qui révoltent également la nature et la pudeur ; mais il
serait difficile de traduire leurs passages ; la décence de nos langues
modernes ne nous permet pas d’exposer des peintures si fidèles. Commode,
employait dans les plus viles occupations les moments qui n’étaient point
consacrés à la débauche. L’influence d’un siècle éclairé et les soins vigilants
de l’éducation n’avaient pu inspirer à cette âme grossière le moindre goût pour
les sciences Jusqu’alors aucun empereur romain n’avait paru tout à fait
insensible aux plaisirs de l’imagination. Néron lui-même, excellait ou
cherchait à exceller dans la musique et dans la poésie ; et nous serions
bien loin de l’en blâmés, si des études qui ne devaient être pour lui qu’un
délassement agréable, ne fussent point devenues à ses yeux une affaire sérieuse
et l’objet le plus vif de son ambition. Mais Commode, dès ses premières années
montra de l’aversion pour toute occupation libérale ou raisonnable : il ne se
plaisait que dans les amusements de la populace ; les jeux du cirque et de
l’amphithéâtre, les combats de gladiateurs et la chasse des bêtes sauvages.
Marc-Aurèle avait placé auprès de son fils les maîtres les plus habiles dans
toutes les parties des sciences. Leurs leçons inspiraient le dégoût, et étaient
à peine écoutées, tandis que les Maures et les Parthes, qui enseignaient au
jeune prince à lancer le javelot et à tirer de l’arc, trouvaient un élève
appliqué, et qui bientôt égala ses plus habile instituteurs dans la justesse du
coup d’œil et dans la dextérité de la main.
De vils courtisans, dont la fortune tenait aux vices de
leurs maîtres, applaudissaient à ces talents si peu dignes d’un souverain. La
voix perfide de la flatterie ne cessait de le comparer aux plus grands hommes
de l’antiquité. C’était, disait-on, par des exploits de cette nature, c’était
par la défaite du lion de Némée et par la mort du sanglier d’Érymanthe, que
l’Hercule des Grecs avait mérite d’être mis au rang des dieux, et s’était
acquis sur la terre une réputation immortelle. On oubliait seulement d’observer
que dans l’enfance des sociétés, lorsque les
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