Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
quelques dépouilles des nations qu’il avait vaincues. Les captifs
qui avaient ouvert la fosse furent impitoyablement massacrés, et les Huns,
après s’être abandonnés à une douleur immodérée, terminèrent la fête en se
livrant, autour du sépulcre, à tous les excès de la joie et de la débauche. On
prétendit à Constantinople que, dans la nuit fortunée qui en délivra l’empire,
Marcien avait cru voir en songe se briser l’arc d’Attila. Cette tradition
pourrait servir à prouver que le redoutable roi des Huns occupait souvent
l’imagination des empereurs romains [3982] .
La révolution qui détruisit l’empire des Huns assura la
gloire du monarque qui seul avait pu soutenir un édifice si vaste et si peu
solidement assemblé. Après sa mort, ses chefs les plus braves aspirèrent au
rang de souverains, les rois les plus puissants parmi ceux qui lui étaient
soumis voulurent jouir de l’indépendance, et les fils de tant de mères
différentes se partagèrent et se disputèrent comme un héritage particulier le
commandement des nations de la Scythie et de la Germanie. L’audacieux Ardaric
sentit et représenta la honte de ce partage. Les Gépides ses sujets, et les
Ostrogoths, sous la conduite de trois frères intrépides, encouragèrent leurs
alliés à soutenir les droits de la liberté de leur couronne. On vit, soit pour
se soutenir, soit pour se combattre, se rassembler sur les bords de la rivière
de Netad en Pannonie, les lances des Gépides, les épées des Goths, les traits
des Huns, l’infanterie des Suèves, les armes légères des Hérules et les glaives
pesants des Alains. La bataille fut sanglante et décisive, et la victoire
d’Ardaric coûta trente mille hommes à ses adversaires. Ellac, l’aîné des fils
d’Attila, perdit sa couronne et la vie à la bataille de Netad. Sa précoce
valeur l’avait déjà placé sur le trône des Acatzires peuple de Scythie qu’il
avait subjugué, et Attila, sensible à la supériorité du mérite, aurait envié la
mort de son fils Ellac [3983] .
Son frère Dengisich, suivi d’une armée de Huns encore formidable après sa
défaite, se défendit plus de quinze ans sur les bords du Danube. Le palais
d’Attila et l’ancienne Dacie, depuis les montagnes Carpathiennes jusqu’à la mer
Noire, devinrent le siège d’une nouvelle puissance fondée par Ardaric, roi des
Gépides. Les Ostrogoths occupèrent les conquêtes faites en Pannonie, depuis
Vienne jusqu’à Sirmium ; et les différents établissements des tribus qui
venaient de défendre si courageusement leur liberté, furent irrégulièrement
distribués selon l’étendue de terrain qu’exigeaient leurs forces respectives.
Environné et accablé par la multitude des esclaves de son père, Dengisich ne
possédait d’autre empire que l’enceinte de ses chariots ; son courage désespéré
le poussa à attaquer l’empire d’Orient, et il perdit la vie dans une bataille.
Sa têt, ignominieusement exposée dans l’Hippodrome, amusa la curiosité du
peuple de Constantinople. La tendresse et la superstition avaient persuadé à
Attila qu’Irnac, le plus jeune de ses fils, était destiné à soutenir la gloire
de sa race. Le caractère de ce prince, qui tâcha vainement de modérer
l’impétuosité de son frère Dengisich, convenait mieux à la nouvelle situation
des Huns. Irnac, suivi des hordes qui lui obéissaient, se retira dans le cœur
de la petite Scythie. Ils y furent bientôt accablés par une multitude de
Barbares qui suivirent le chemin qu’avaient découvert leurs ancêtres. Les Geougen ou Avares, que les écrivains grecs placent sur les côtes de l’océan, chassèrent
devant eux les tribus voisines ; et enfin les Igours du Nord, sortant des
régions glacées de la Sibérie, qui produisent les plus précieuses fourrures, se
répandirent dans le désert jusqu’au Borysthène et de la mer Caspienne, et
détruisirent totalement l’empire des Huns [3984] .
Cette révolution put contribuer à la sûreté de l’empire
d’Orient, dont le monarque avait su se concilier l’amitié des Barbares sans se
rendre indigne de leur estime ; mais en Occident le faible Valentinien, parvenu
à sa trente-cinquième année sans avoir atteint l’âge de la raison ou du
courage, abusa de sa tranquillité apparente pour saper les fondements de son
trône en assassinant de sa propre main le patrice Ætius. Il haïssait, par un
instinct de basse jalousie, le héros qu’on célébrait
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