Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
résistance de cette jeune princesse, Goisvintha la saisit par ses longs
cheveux, la terrassa, la mit en sang à force de coups, et termina cette scène
de fureur par l’ordre inhumain de dépouiller Ingonde et de la plonger nue dans
un bassin ou petit étang [4262] .
L’amour et l’honneur excitèrent sans doute Hermenegild à venger l’injure de son
épouse, et il se persuada insensiblement qu’elle avait souffert pour la cause
de la vérité. Les plaintes touchantes de la princesse, et les arguments de
Léandre, archevêque de Séville achevèrent sa conversion : l’héritier de la
couronne des Goths embrassa la foi de Nicée, et y fut initié par la cérémonie
de la confirmation [4263] .
Le jeune prince, emporté par son zèle, et peut-être par l’ambition, oublia le
devoir d’un fils et d’un sujet, et les catholiques d’Espagne, quoiqu’ils
n’eussent point à se plaindre de la persécution, applaudirent à sa pieuse
révolte contre un père hérétique. La guerre civile fut prolongée par les siéges
opiniâtres que soutinrent Séville, Mérida et Cordoue, étroitement attachées au
parti d’Hermenegild. Il invita les Barbares orthodoxes, les Suèves et les
Francs, à envahir ses États héréditaires ; il sollicita le secours dangereux
des Romains, qui possédaient l’Afrique et une partie des côtes maritimes de
l’Espagne ; et l’archevêque Léandre, son pieux ambassadeur, négocia
personnellement et avec succès près de la cour de Byzance : mais l’activité
d’un monarque qui disposait des forces et des trésors de l’Espagne, anéantit
l’espoir des catholiques ; et le coupable Hermenegild, après avoir essayé
successivement de résister, et de fuir, fut forcé de se rendre et d’implorer la
clémence d’un père justement irrité. Leuvigild n’avait point encore oublié que
le rebelle était son fils ; il le dépouilla du rang et du titre de souverain,
et lui permit de continuer à professer sa religion dans un exil honorable ;
mais des perfidies renouvelées sans succès et à plusieurs reprises,
enflammèrent, enfin l’indignation du monarque : il parut cependant signer
à regret la sentence de son fils, qui reçut la mort dans la tour de Séville. La
fermeté avec laquelle ce prince refusa de sauver sa vie en acceptant la
communion arienne, peut excuser les honneurs que l’on rendit à la mémoire de
saint Hermenegild. Les Romains retinrent sa femme et son fils dans une
captivité ignominieuse, et cette calamité domestique rendit amers les derniers
moments de Leuvigild, dont elle ternit la gloire.
Recarède, son second fils, son successeur et le premier roi
catholique de l’Espagne, avait adopté les principes religieux de son frère, et
il les soutint avec plus de prudence et de succès. Au lieu de se révolter
contre son père, Recarède attendit patiemment le moment de sa mort. Au lieu de
condamner sa mémoire, il supposa pieusement que le monarque expirant avait
abjuré les erreurs de l’arianisme, et recommandé à son fils de travailler à
convertir ses sujets. Pour parvenir à ce but salutaire, Recarède convoqua une
assemblée une clergé arien et de la noblesse, déclara publiquement qu’il était
catholique, et les pressa d’imiter l’exemple de leur souverain. Une recherche
trop curieuse sur des textes douteux, et des arguments métaphysiques auraient
élevé une controverse interminable ; le monarque ne présenta que deux motifs à
son ignorant auditoire, et tous deux d’un nature sensible et positive, la
protection visible du ciel et la conviction de la terre. Le monde entier
s’était soumis à la foi de Nicée ; les romains, les Barbares et les
habitants de l’Espagne [4264] ,
la professaient unanimement et les Visigoths résistaient seuls au vœu du monde
chrétien. Dans un siècle de superstition, on attribuait facilement à la
protection du ciel les cures effectuées par la vertu ou par l’adresse du clergé
; les fonts baptismaux d’Osset en Bétique, remplis spontanément chaque année la
veille de Pâques [4265] ,
la châsse miraculeuse de saint Martin de Tours, qui avait déjà converti le
souverain des Suèves et les peuples de la Galice, passaient pour des preuves
incontestables de la faveur divine [4266] .
Le roi catholique ne réussit point sans peine à réformer la religion nationale.
On forma contre sa vie une conspiration secrètement fomentée par la reine
douairière, et deux comtes excitèrent une révolte dangereuse dans
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