Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
fatale à vos provinces ; vous
seriez ensevelis sous les débris de ce grand édifice élevé par la sagesse et la
valeur de huit siècles. Un maître sauvage insulterait et opprimerait cette
liberté que vous auriez, imaginé obtenir, et l’expulsion des Romains vous
exposerait aux hostilités continuelles des conquérants barbares [4277] . Les Gaulois
reçurent favorablement cet avis salutaire, et virent dans la suite s’accomplir
l’étrange prédiction sur laquelle il était fondé. Dans l’espace de quatre cents
ans, les Gaulois, qui avaient combattu courageusement contre César, se
confondirent insensiblement dans la masse générale des citoyens et des sujets ;
l’empire d’Occident fut anéanti, les Germains passèrent le Rhin, entrèrent en
vainqueurs dans la Gaule, et excitèrent le mépris ou l’horreur de ses habitants
policés et pacifiques. Pleins de cet orgueil que manque rarement d’inspirer la
supériorité des lumières et des richesses, ceux-ci tournaient en dérision les
sauvages géants du Nord ; lieur épaisse chevelure, leurs manières grossières,
leur joie bruyante, leur appétit vorace, leur aspect dégoûtant, et leur odeur
insupportable. On cultivait encore les belles-lettres dans les écoles d’Autun et
de Bordeaux, et la jeunesse gauloise parlait familièrement la langue de Cicéron
et de Virgile ; le dialecte des Germains frappait désagréablement leurs
oreilles, et ils disaient ingénieusement que le son d’une lyre bourguignonne
faisait fuir les muses épouvantées. Les Gaulois possédaient tous les dons de la
nature et de l’art ; mais ils manquaient de courage pour se défendre contre les
Barbares ; ils furent justement condamnés à leur obéir, et se virent mêmes
obligés de flatter les vainqueurs de la clémence desquels dépendaient leur
fortune et leur vie [4278] .
Dès qu’Odoacre eut renversé l’empire d’Occident, il
rechercha l’amitié des plus puissants d’entre les Barbares. Le nouveau
souverain de l’Italie fit à Euric, roi des Visigoths, l’abandon, de toutes les
conquêtes des Romains au-delà des Alpes jusqu’au Rhin et à l’Océan [4279] . En ratifiant
ce don magnifique, le sénat pouvait satisfaire sa vanité sans diminuer la
puissance ou le revenu de l’État. Les succès d’Euric légitimèrent ses
prétentions, et les Goths purent aspirer, sous son commandement, à la
domination de l’Espagne et de la Gaule. Arles et Marseille se soumirent ; il se
rendit maître de l’Auvergne, et l’évêque exilé consentit à mériter son rappel
par un tribut de louanges justes, mais forcées. Sidonius attendit le monarque
devant la porte de son palais, parmi une foule d’ambassadeurs et de suppliants,
dont les différentes affaires à la cour de Bordeaux attestaient la puissance et
la renommée du roi des Visigoths. Les Hérules situés sur les côtes de l’Océan,
dont ils imitaient la teinte azurée dans les peintures dont ils ornaient leur
nudité, venaient implorer sa protection, et les Saxons respectaient les
provinces maritimes d’un prince dépourvu de vaisseaux. Les Bourguignons, à la
haute stature, se soumirent à l’autorité d’Euric, et il ne rendit la liberté
aux Francs qu’il tenait captifs, qu’après avoir forcé cette belliqueuse nation
à recevoir de lui une paix onéreuse. Les Vandales de l’Afrique cultivaient son
utile amitié, et son alliance protégeait les Ostrogoths de la Pannonie contre
l’ambition des Huns leurs voisins. D’un signe, dit pompeusement le poète qui
l’a chanté, Euric agitait ou apaisait le Nord ; le puissant monarque de la
Perse consultait l’o racle de l’Occident, et l’antique divinité du Tibre était
protégée par le naissant génie de la Garonne [4280] . Le hasard a
souvent décidé du sort des nations ; et la France peut attribuer sa gloire à la
mort prématurée du roi des Goths, qui laissait pour successeur son fils Alaric
alors dans l’enfance, et pour adversaire Clovis [4281] jeune prince
rempli de valeur et d’ambition.
Childéric, père de Clovis, durant le temps qu’il avait passé
en exil dans la Germanie, avait été traité de la manière la plus hospitalière
non seulement par le roi, mais aussi par la reine des Thuringiens. Lorsqu’il
fut rétabli sur sort trône, Basine quitta le lit de son époux pour voler dans
les bras de son amant, déclarant que si elle eût rencontré un homme plus sage,
plus fort ou plus beau que Childéric, elle lui aurait accordé la
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