Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
tranquillité dans les Gaules ; et, tant qu’il
avait espéré y réussir, il s’en était tenu avec soin au personnage impartial de
médiateur ; mais cependant, alarmé du pouvoir naissant de Clovis, ce prudent
monarque était fermement déterminé à soutenir les Goths dans leur guerre
nationale et religieuse.
Les prodiges accidentels ou artificiels qui illustrèrent
l’expédition de Clovis, passèrent, dans un siècle de superstition, pour une
preuve évidente de la faveur divine. Il partit de Paris, traversa avec dévotion
le saint diocèse de Tours, et voulut en passant consulter, sur l’événement de
la guerre, la châsse de saint Martin, l’objet de la vénération et l’oracle de
la Gaule. Ses envoyés eurent ordre d’être attentifs aux paroles du psaume que
l’on chanterait lorsqu’ils entreraient dans l’église ; elles exprimaient
heureusement la valeur et la victoire des champions du ciel, et il fût aisé
d’en faire l’application au nouveau Josué ou au nouveau Gédéon qui allait
combattre les ennemis du Seigneur [4325] .
Orléans assurait aux Francs un pont sur la Loire ; mais environ à quarante
milles de Poitiers, la crue extraordinaire des eaux de la Vigenna ou Vienne
leur ferma Ie passage ; l’armée des Visigoths couvrait la rive opposée. Les
délais sont toujours funestes pour des Barbares qui saccagent les pays où
ils passent ; et quand même Clovis aurait eu le loisir et des matériaux, il
paraissait impraticable de construire un pont, et de forcer le passage en
présence d’un ennemi supérieur en forces ; mais il était aisé d’obtenir des
paysans, empressés de servir leurs libérateurs, la connaissance de quelque gué
ignoré ou mal gardé ; et l’on employa utilement la fraude ou la fiction à rehausser
le mérite de cette découverte. Une biche blanche, remarquable par sa taille et
par sa beauté, sembla conduire et animer l’armée des catholiques. Le trouble et
l’irrésolution régnaient dans le conseil des Visigoths. Une foule de guerriers
impatiens, présomptueux, et dédaignant de fuir devant les brigands de la
Germanie, excitèrent Alaric à soutenir la gloire du sang et du nom de l’ancien
conquérant de Rome. Les plus prudents de ses chefs l’engageaient à éviter la
première impétuosité des Francs, et à attendre, dans les provinces méridionales
de la Gaule, les vieilles troupes victorieuses des Ostrogoths, que le roi
d’Italie avait fait partir pour joindre son armée. Les moments décisifs se
passaient en vaines délibérations. Les Goths abandonnèrent trop précipitamment
peut-être une position avantageuse, et perdirent, par leurs manœuvres lentes et
incertaines, l’occasion de faire sûrement leur retraite. Lorsque Clovis eut
passé le gué, nommé depuis le gué du Cerf, il avança rapidement pour prévenir
la fuite de l’ennemi. Un météore enflammé, suspendu au-dessus de la cathédrale
de Poitiers dirigea sa marche pendant la nuit ; et ce signal, qui pouvait avoir
été concerté avec le successeur orthodoxe de saint Hilaire, fut comparé la
colonne de feu qui guidait les Israélites dans le désert. A la troisième heure
du jour, environ à dix milles au -dessus de Poitiers, Clovis atteignit et
attaqua sans délai l’armée des Goths, dont la terreur et la confusion
préparaient la défaite. Ils se rallièrent cependant au fort du combat ; et les
jeunes guerriers, dont les clameurs avaient demandé la bataille, ne voulurent
point survivre à la honte de la défaite. Les deux rois se rencontrèrent, se
combattirent, et Alaric périt de la main de son rival. La bonté de sa cuirasse
et la vigueur de son cheval sauvèrent le victorieux Clovis de la poursuite de
deux cavaliers des Goths, qui, furieux, voulaient venger la mort de leur
souverain. L’expression vague d’une montagne de morts indique un grand cornage
sans en déterminer l’étendue ; mais Grégoire de Tours n’oublie pas d’observer
que son vaillant compatriote, Apollinaris, le fils de Sidonius, perdit la vie à
la tête des nobles de l’Auvergne. Peut-être ces catholiques suspects furent-ils
exposés à dessein à la première fureur de l’ennemi [4326] , et peut-être
l’attachement personnel ou l’honneur militaire l’emportèrent-ils sur
l’influence de la religion.
Tel est l’empire du hasard, s’il nous est permis de déguiser
sous ce nom nôtre ignorance, qu’il parait également difficile de prévoir les
événements de la guerre et d’en
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