Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
cour, oubliait avec ses troupes la
dignité de son rang ; il encourageait leur insolente familiarité, et,
négligeant les devoirs essentiels d’un général, il affectait l’habillement et
les manières d’un simple soldat.
Le caractère et la conduite de Caracalla ne pouvaient lui
concilier ni l’amour ni l’estime de ses sujets ; mais tant que ses vices furent
utiles à l’armée, il n’eût point à redouter les dangers d’une rébellion. Une
conspiration secrète, allumée par ses propres soupçons, lui devint fatale. Deux
ministres partageaient lors la préfecture du prétoire : Adventus, ancien
soldat plutôt qu’habile officier, avait le département militaire ;
l’administration civile était entre les mains d’Opilius Macrin qui devait cette
place importante à sa réputation et à son habileté pour les affaires. La faveur
dont il jouissait variait selon le caprice du tyran, et sa vie dépendait du
plus léger soupçon ou de la moindre circonstance. La méchanceté ou le fanatisme
inspira tout à coup un Africain qui passait pour être profondément versé dans
la connaissance de l’avenir : cet homme annonça que Macrin et son fils
règneraient un jour sur l’empire romain. Le bruit s’en répandit aussitôt dans
les provinces, et lorsque le prophète eut été envoyé chargé de chaînes dans la capitale,
il soutint en présence du préfet de la ville, la vérité de sa prédiction. Ce
magistrat, qui avait reçu des ordres précis de rechercher les successeurs de Caracalla, s’empressa de communiquer cette découverte à la cour de
l’empereur, qui résidait alors en Syrie ; mais, malgré toute la diligence
des courriers publics, un ami de Macrin trouva le moyen de l’avertir du danger
qu’il courait. Le prince conduisait un chariot de course lorsqu’il reçu des
lettres de Rome : il les donna sans les ouvrir à son préfet du prétoire, en lui
recommandant d’expédier les affaires ordinaires, et de lui faire ensuite le
rapport des plus importantes. Macrin apprit ainsi le sort dont il était menacé
: résolu de détourner l’orage, il enflamma le mécontentement de quelques officiers
subalternes, et se servit de la main de Martial, soldat déterminé, qui n’avait
pu obtenir le grade de centurion. L’empereur était parti d’Édesse pour se
rendre en pèlerinage à Charres [478] ,
dans un fameux temple de la Lune. Il avait a sa suite un corps de
cavalerie ; mais ayant été obligé de s’arrêter un moment sur la route,
comme les gardes se tenaient par respect à quelque distance de sa personne,
Martial s’approcha de lui, sous prétexte de lui rendre quelque service, et le
poignarda [8 mars 217] . L’assassin fut tué à l’instant par un archer
scythe de la garde impériale. Telle fût la fin d’un monstre dont la vie
déshonorait la nature humaine, et dont le règne accuse la patience des Romains [479] . Les soldats
reconnaissants oublièrent ses vices, ne pensèrent qu’à sa libéralité, et
forcèrent les sénateurs à prostituer la majesté de leur corps et celle de la
religion, en le mettant au rang des dieux. Tant que cet être divin avait vécu
parmi les hommes, Alexandre le Grand avait été le seul héros qu’il jugeât digne
de son admiration. Caracalla prenait le nom et l’habillement du vainqueur de
l’Asie, avait formé pour sa garde une phalange macédonienne, recherchait les
disciples d’Aristote, et déployait, avec un enthousiasme puéril, le seul
sentiment qui marquât quelque estime pour la gloire et pour la vertu. Charles
XII, après la bataille de Narva et la conquête de la Pologne, pouvait se vanter
d’avoir égalé la bravoure et la magnanimité du fils de Philippe, quoiqu’il
n’eût aucune de ses qualités aimables ; mais l’assassin de Geta dans
toutes les actions de sa vie, n’a pas la moindre ressemblance avec le héros de
Macédoine ; et s’il peut lui être comparé, ce n’est que pour avoir versé
le sang d’un grand nombre de ses amis et de ceux de son père [480] .
Après la chute de Caracalla, l’on n’eut point recours à
l’autorité d’un sénat faible et éloigné ; les troupes seules donnèrent un
maître à l’univers. Le choix de l’armée fut d’abord suspendu ; et comme il ne
se présentait aucun candidat dont le mérite distingué et la naissance illustre
pussent fixer les regards et réunir tous les suffrages, l’empire resta sans
chef pendant trois jours. L’influence marquée des gardes
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