Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
disait-il à Panétius, à des dompteurs les chevaux capricieux ; il faut, amener les hommes trop confiants en leur étoile a la règle de la raison et de la doctrine, pour qu ’ ils se rendent compte de la faiblesse des choses humaines et de l ’ inconstance de la fortune [565] » . La vieille éducation traditionnelle doit donc céder le pas à un enseignement rationnel. Les disciples romains de Panétius sont nombreux et influents ; c ’ est Quintus Tubéron, le neveu de Scipion, fervent Stoïcien dans sa conduite, qui écrivit un traité Sur l ’ Office du juge , où il conciliait sans doute ses connaissances juridiques avec la doctrine stoïcienne [566] ; Mucius Scaevola, augure et juriste ; Rutilius Rufus, proconsul d ’ Asie Mineure ; Æ lius Stilon, un grammairien et historien qui fut maître de l ’ érudit Varron. Après ce long séjour à Rome, il dirigea l ’ école à Athènes de 129 à 110.
L ’ univers de Panétius est bien différent de celui de Zénon ; il a un grand enthousiasme pour Platon, « le divin, le très sage, le très saint, l ’ Homère des philosophes [567] . » Il n ’ attache plus à la dialectique broussailleuse la même importance que les fondateurs de l ’ école, et son enseignement commence par la physique [568] . Mais l ’ unité du cosmos se détend : la conflagration universelle, qui était comme le symbole de la toute-puissance p.398 de la raison, est niée ; ce monde, si beau et si parfait, conservera toujours un ordre identique à celui que nous contemplons. Avec la conflagration tombe la sympathie universelle ; « quelle apparence que, d ’ une distance presque infinie, l ’ influence des astres puisse s ’ étendre jusqu ’ à la lune, ou plutôt jusqu ’ à la terre ? » . En même temps que la sympathie, il rejette la divination, fondée sur elle ; et il est disposé à admettre un certain relâchement dans le destin [569] .
Ces modifications touchent au fond des choses : Panétius n ’ est plus un théologien, c ’ est un humaniste ; c ’ est l ’ activité civilisatrice de l ’ homme qui l ’ intéresse, la raison humaine en mouvement, créatrice des arts et des sciences, beaucoup plus que la raison divine immanente aux choses. Aussi rejette-t-il pour l ’ âme (qui n ’ est pour lui qu ’ un souffle enflammé) toute destinée en dehors de sa vie dans le corps ; il allait, nous dit-on, jusqu ’ à nier l ’ authenticité du Phédon . L ’ âme doit mourir, dit-il, puisqu ’ elle est née, et la preuve qu ’ elle ne préexiste pas à la naissance, c ’ est la ressemblance morale des enfants avec leurs parents. D ’ autre part, elle est corruptible puisqu ’ elle est sujette à la maladie ; et enfin sa partie éthérée doit regagner à la mort les hauteurs du monde dont elle est issue [570] .
Il ne faut pas s ’ étonner non plus qu ’ il traitât la théologie des écoles de simple bavardage : il est sans doute l ’ auteur responsable de cette étude positive de la théologie que l ’ on trouve chez son disciple Scaevola qui l ’ a transmise à Varron [571] . Il y a en fait trois théologies : celle des poètes, si futile, qui met les dieux au-dessous des hommes de bien, celle des philosophes qui s ’ accorde mal avec les croyances nécessaires aux cités, soit que, avec Evhémère, on pense que les dieux ne sont que des hommes réels que l ’ on a divinisés, soit que l ’ on accepte p.399 des dieux qui n ’ ont rien de commun avec les dieux dont on voit les statues dans les cités, puisque le dieu des philosophes n ’ a ni sexe, ni âge, ni corps limité. Il y a enfin la théologie civile, celle du culte, instituée dans les cités par des sages ; et pour laquelle Scaevola, politique avant tout, ne cache pas sa prédilection.
Panétius écrivit en 140 un traité Du Devoir , qui, selon Cicéron, contient sur le sujet une discussion très exacte et sans controverse. Cicéron ajoute qu ’ il a suivi (mais non traduit) ce traité dans les deux premiers livres de son propre ouvrage Des Devoirs , non pourtant sans le corriger quelque peu [572] » . Ces deux livres forment notre principale source de renseignements sur Panétius. Son idéal paraît être la conduite de l ’ honnête homme trouvant, dans une société civilisée, les moyens et les occasions de satisfaire et de fortifier les penchants dont la nature l ’ a doué. Vivre conformément à la nature, c ’
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