Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
n’est pas s’opposer à la dialectique de l’histoire ; au reste la démocratie est possible dans les colonies comme ailleurs. « Si nous sommes les adversaires d’une politique coloniale capitaliste », dit Kautsky — et des partisans d’une politique coloniale socialiste ne se lassent pas de répéter qu’ils condamnent celle-là —, « nous sommes par là même les adversaires de toute politique coloniale possible, sinon pensable… La mission civilisatrice ne doit pas couvrir des rapports de domination. Le prolétariat victorieux ne constituera pas une classe dominante, même dans les pays actuellement colonisés ; il renoncera au contraire à toute souveraineté sur un pays étranger ». Ces idées-là eurent de l’écho, notamment chez les musulmans de Russie.
Globalement, à l’Internationale, ce fut l’idée d’une politique coloniale socialiste qui l’emporta, confiée dans chaque pays à chacun des partis socialistes. Ainsi, on continua à en débattre en Belgique, en France, etc., mais l’Internationale se préoccupait surtout des risques de guerre qui noircissaient l’horizon. Or, comme la question coloniale n’apparaissait plus comme une source majeure de conflit — ce qu’elle avait été entre 1895 et 1905 —, elle passa au deuxième rang des préoccupations.
Pourtant, la conquête du pouvoir par les Jeunes-Turcs en 1908, la révolution iranienne de 1906 et la révolution chinoise de 1911 révélèrent qu’il existait un mouvement de libération des peuples de l’Orient ; et cela conduisit les socialistes européens à élargir leur approche à une vision mondiale de la crise de ce temps ; ce furent, d’une part, les « tribunistes » hollandais — Pannekoek, Gorter —, et, de l’autre, Lénine, qui mirent l’accent sur cette nécessité.
Simultanément des organisations indépendantistes apparaissent à Batavia, un puissant mouvement syndical en Inde, de multiples organisations révolutionnaires à Bakou, de sorte que ce « réveil » de l’Asie établissait un lien entre problème colonial et la revendication nationale.
Au carrefour de ces problèmes, les socialistes russes étaient mieux placés pour le comprendre que les Anglais ou les Allemands.
Après la Première Guerre mondiale, la guerre du Riff fut à l’origine d’une flambée anticolonialiste, en France, qu’anima le Parti communiste français, sous l’égide de Jacques Doriot. Mais, globalement, au vu des sacrifices des colonisés lors de la Grande Guerre, l’idée dominante était bien que la colonisation avait du bon — elle avait fourni « de bons et robustes soldats », des travailleurs annamites aussi ; le discours anticolonialiste avait perdu de sa force, tout comme en Angleterre où, pourtant, le Parti travailliste sut le reprendre à son compte pour défendre les progrès du self-government en Inde.
En France, après la Seconde Guerre mondiale, indépendamment de l’action menée, par les communistes surtout, contre la guerre d’Indochine 3 , une des formes de l’anticolonialisme renaissant appartient, selon l’heureuse classification de Pierre Vidal-Naquet, à la tradition dreyfusarde. Cet anticolonialisme-là vise à la sauvegarde des principes et pratiques qui fondent la République et la démocratie. Il se dresse contre tout ce qui les déshonore. Le Justice pour les Malgaches , de Pierre Stibbe, préfacé par Claude Bourdet, adressé « à toutes les victimes du colonialisme », en est une des premières expressions de l’après-guerre. Il y est question des « événements » du 29 mars 1947 — c’est-à-dire une insurrection et sa répression —, des procès qui ont suivi et de la façon dont l’ordre judiciaire a condamné 17 hommes « au nom du peuple français ». Ces hommes s’étaient révoltés pour des raisons qu’exprime la revue Esprit à propos de l’Algérie : « La violence réside du côté français ; c’est le mépris racial de l’Arabe, le truquage des élections, la misère des bidonvilles, l’émigration de la faim ; la violence est constante dans l’usage hypocrite des principes démocratiques aux fins d’une oppression de fait… Cette violence n’a été révélée, il faut l’avouer, que par le recours aux armes. »
C’est bien au nom de la fidélité à une certaine image du rayonnement de la France que d’aucuns veulent légitimer et défendre une politique de dialogue et de négociation avec des
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