Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Annie Goldmann dans Les Filles de Mardochée . A la première génération évoquée, avant l’occupation française, Élise épouse un pionnier de l’émancipation des femmes. En ce temps-là, elle habite la Hara, un ghetto avant la porte de la mer. Les Juifs y avaient des culottes noires, les Arabes des culottes rouges. Chaque fois qu’un Arabe rencontrait un Juif, il lui donnait trois petites tapes sur la tête et disait : « En souvenir de l’esclavage de ton père et de ton grand-père. » Ce n’étaient pas les femmes qui faisaient le marché, mais les hommes. Les femmes juives étaient habillées avec le shafshari, un rectangle de tissu qui enveloppe tout le corps de la femme, mais elles ne se voilaient pas le visage. A l’arrivée des Français, en 1881, Élise a peur parce qu’on dit que les Arabes vont se révolter, alors on a loué une barque pour pouvoir aller loin. Autour de la petite Ziza, on ne parlait qu’arabe ; pas d’instruction, pas d’école. Les garçons allaient à l’école hébraïque apprendre la Loi mosaïque et la religion. Ziza ignorait les poupées, considérées comme des idoles. Or le directeur de l’Alliance israélite décide de faire une école pour les filles pour apprendre le français et coudre. Alors Mardochée a envoyé Ziza à l’école, malgré les rabbins ; etZiza a porté un tablier, elle s’est habillée « à l’européenne ». C’est donc par le français qu’Élise a accédé à la lecture. Elle s’est mariée habillée à l’arabe, mais son trousseau était européen. Juliette — deuxième génération — fut la gloire de la famille. Née en 1890, forgée par son père, elle devient la première femme avocate de Tunisie, en 1920. Mais vite, par son mariage, elle réintègre le rôle traditionnel de la femme. A la troisième génération, la femme juive est émancipée, elle épouse un métropolitain.
Cette histoire emblématique, bien des jeunes femmes juives l’ont connue, tant à Tunis qu’à Oran, à Casablanca aussi bien.
Alors que l’émancipation des jeunes musulmanes s’est heurtée à des obstacles et n’a pas été si massive. Pourtant, elle s’est associée à la colonisation, mais de façon plus ambiguë, par un effet pervers. Les familles résistaient à l’européanisation au nom de l’identité arabe, de sa défense. Au lycée Stéphane-Gsell, d’Oran, entre 1948 et 1956, on comptait sur les doigts des deux mains le nombre de jeunes filles musulmanes que leurs parents autorisaient à poursuivre leurs études jusqu’au baccalauréat.
Une pseudo-émancipation s’est mise en place, en Algérie, à l’heure de la lutte de libération, avec les discours du FLN sur l’avenir de la femme, une fois l’indépendance acquise : Assia Djebar a su la première exprimer avec force, après l’indépendance, ses désillusions, son désespoir, sa colère (Les Femmes du mont Chenoua) 4 .
Il reste que le discours anticolonialiste, aujourd’hui tiers-mondiste, demeure discret sur ce problème.
En Afrique noire, c’est grâce à la colonisation également qu’au Dahomey, par exemple, les femmes ont perpétué l’état de relative égalité qu’elles avaient dans les activités sociales de la société traditionnelle. En ouvrant les écoles aux filles, là aussi, l’administration leur a permis d’atteindre à des activités de responsabilité, limitées certes, mais qui l’étaient pour les hommes également : institutrices,infirmières, employées diverses — ce qui a contrebalancé leur statut subalterne dans le cadre tribal ou familial et aidé, là aussi, à leur affranchissement.
L E RACISME DES NON - E UROPÉENS
La tradition anticoloniale, devenue tiers-mondiste ces dernières décennies, est demeurée longtemps silencieuse aussi sur le rôle et les responsabilités des Arabes dans la traite et l’esclavage, sur leur racisme aussi bien 5 . Pour autant que la lutte contre ce fléau avait servi d’argumentaire à l’impérialisme colonial, on a pu juger qu’il était « grossi », exagéré, que les dires de Livingstone sur les 21 millions d’esclaves qui seraient passés par Zanzibar constituent un chiffre « extravagant ». Sans doute, puisqu’on l’évalue à un peu plus de 3,5 millions. On remarque néanmoins que les travaux et colloques sur la traite et l’esclavage portent en grande majorité sur l’Atlantique ; est-ce fortuit ?
En ce qui concerne le racisme, on constate
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