Histoire du Consulat et de l'Empire
élections ont continué : les choix nous paraissent bons et la très grande majorité des sénateurs animés du meilleur esprit 6. » Toutefois, les figures connues sont rares parmi les nouveaux élus, si l'on excepte Lucien Bonaparte, Daru et Carnot nommés au Tribunat.
Le gouvernement ne se contente toutefois pas de cette épuration.
Il impose aussi une réforme du Tribunat, décidément devenu la bête noire du Premier consul. Le 1er mars 1802, son règlement est modifié. Pour atténuer l'impact des discussions en séance plénière, il se divise en trois sections permanentes, législation, intérieur et finances, chargées chacune, selon ses compétences, d'examiner les projets qui lui seront soumis. Bonaparte complète ce dispositif en autorisant des conférences entre tribuns et conseillers d'État, sous la présidence d'un consul, afin de discuter préalablement des projets de loi. Cette concession offre aux tribuns la possibilité d'amender les projets, en en faisant au moins disparaître les défauts les plus criants. Le principal résultat de la réforme du Tribunat revient à mettre quasiment un terme à la publicité des débats. Les discussions ont désormais lieu dans les sections, à huis clos, le public n'entendant en séance que les rapports conclusifs de ces sections. Le débat s'en trouve fortement altéré, comme le constate un témoin anglais, profitant de la paix d'Amiens pour visiter la France et qui décrit ainsi une séance du Tribunat : « J'ai depuis assisté à ce que l'on appelle ici un débat. Mais ce terme n'a pas le même sens qu'en Angleterre. Ici, cela consiste en la lecture d'un discours par chacun des membres sur un sujet quelconque, pour la plus grande distraction et l'amusement des autres. Naguère encore, après ces lectures, avait lieu une délibération d'environ un quart d'heure : mais on s'aperçut que c'était du temps perdu et maintenant, depuis l'épuration du Tribunat, tout est voté à l'unanimité. En fait, ils ont pris l'habitude de penser tous de la même façon. Le frère Lucien a été placé expressément à la tête de cette assemblée pour la maintenir dans l'obéissance 7, » Le Tribunat a cessé d'être un lieu d'opposition à Bonaparte, même s'il émet encore à l'occasion quelque vote négatif.
Cette reprise en main des assemblées opérée, Bonaparte peut 1 18
LE RENFORCEMENT DU POUVOIR PERSONNEL
mettre fin à près de trois mois de disette législative. Une session extraordinaire est organisée, du 4 avril au 15 mai 1802, pour permettre l'examen des projets de loi en suspens. Le Code civil n'est pas immédiatement représenté aux assemblées, mais le premier texte qui leur est soumis n'en forme pas moins un test important puisqu'il s'agit du Concordat signé avec le pape auquel Bonaparte a adjoint, pour le rendre plus acceptable par les parlementaires, des Articles organiques qui réglementent la vie de l'Église catholique, mais aussi des cultes protestants. Le Premier consul connaît l'hostilité des députés à l'égard du Concordat, mais il les met en garde contre toute manifestation d'opposition. Les recevant, le jour de l'ouverture de la session extraordinaire, alors qu'ils sont venus le féliciter de la conclusion de la paix d'Amiens avec l'Angleterre, il leur déclare : « J'espère que dans votre vote, vous serez unanimes », ajoutant : « La France verra avec une vraie joie que ses législateurs ont voté la paix des consciences, la paix des familles, cent fois plus importante pour le bonheur du peuple que celle à l'occasion de vous me félicitez 8. » Bonaparte confie ensuite au conseiller Portalis, directeur des Cultes depuis octobre 1801 , le soin de présenter le projet devant le Corps législatif. Homme des Lumières et francmaçon, mais resté attaché au catholicisme, Portalis définit devant les députés les fondements du régime concordataire et plaide pour une tolérance religieuse nécessaire au maintien de l'ordre social. Protéger la religion est un devoir pour l'État qui s'assure ainsi que le catholicisme ne servira pas d'arme aux adversaires du régime : « La religion catholique est celle de la très grande majorité des Français, explique Portalis. Abandonner un ressort aussi puissant, c'était avertir le premier ambitieux ou le premier brouillon qui voudrait de nouveau agiter la France, de s'en emparer et de la diriger contre sa patrie. » Le Concordat est donc justifié au nom de la stabilité politique.
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