Histoire du Japon
sont généralement relatés sans aucun commentaire.
Au premier abord, on s’étonne de ce manque d’intérêt apparent pour la haute politique, mais il faut se souvenir que la doctrine confucéenne considère les cérémonies et les rites comme une part essentielle du gouvernement. Ce qui, en l’occurrence, présente un intérêt particulier sur le plan historique, c’est le fait (amplement attesté par ces journaux intimes) que, si la tendance générale de la vie japonaise va sous certains rapports à l’encontre de l’influence chinoise au xe siècle déjà, la théorie gouvernementale et les principes cosmologiques chinois continuent d’avoir un grand poids et de déterminer les formes sinon l’esprit des affaires officielles aux plus hauts niveaux. Dès lors q’e l’harmonie cosmique était maintenue grâce à un comportement rituel idoine, ou du moins n’était pas perturbée par des fautes de conduite, le souverain et ses grands ministres avaient accompli leur devoir. Les détails administratifs pouvaient être confiés à des fonctionnaires subalternes de la capitale ou de la province, mais pour ce qui est des questions importantes, le laisser-faire était de règle.
A notre époque, il paraît ridicule que des hauts fonctionnaires se soucient davantage des formes que des ordres à distribuer. Nous avons tendance à croire que plus nous sommes gouvernés, mieux nous nous comportons, alors qu’il serait sans doute plus exact de dire que mieux nous nous comportons, moins nous avons besoin d’être gouvernés, et que les arguments ne manquent pas en faveur d’une anarchie philosophique idéale, où l’État n’essaie pas de réglementer la conduite par des lois, mais compte sur les bienfaits de l’ordre naturel et sur la vertu du souverain. La question ne réside pas ici dans la justesse ou la fausseté de la vision confucéenne. Ce qui compte, lorsqu’on étudie l’histoire de l’Asie, c’est de ne pas imaginer que nos propres conceptions de la vie et de la société ont une quelconque valeur universelle. A propos du Japon sous les Fujiwara, il faut en outre se rappeler que les véritables décisions administratives étaient prises par des hommes qui ne se souciaient guère de suivre la filière prescrite.
Ces précautions prises, examinons certains passages de ces journaux. L’un, tiré du Shöyüki et qui compte peut-être parmi les plus intéressants, décrit une cérémonie annuelle où la cour entendait lecture des rapports officiels concernant les mauvaises récoltes et les parcelles tombées en friche, et où le chancelier décidait d’accorder ou non une remise d’impôts. Comme le raconte le chroniqueur, il est clair que l’auditoire ne s’intéressait guère au contenu des rapports, à la région, à la situation et à la nature des terres en question. Ce qui comptait, c’était la forme dans laquelle ils étaient rédigés, le langage employé, l’emplacement choisi pour les signatures et les sceaux, voire le maintien des fonctionnaires. Il semble en outre que, au désespoir des courtisans, les officiers de province auteurs de ces rapports n’avaient pas le respect des formes. Ainsi Sanesuke écrit-il :
« J’ai alors défait le cordon pour examiner les rapports concernant la surface des terres en culture dans chacune des provinces. Pour cinq ou six provinces, les rapports donnaient les noms des commissaires inspecteurs mais sans mentionner la région […]. J’ai signalé à l’administration ( daiben ) que les rapports de maintes provinces ne donnaient pas le nom des commissaires. Ainsi, bien que la province d’Omi prenne deux pages, le nom du commissaire n’est pas mentionné […]. En outre, ai-je dit, le rapport de Bizen ne porte pas la signature du gouverneur de la province, ni son sceau. Il faut le renvoyer. »
Il ressort clairement de tels documents que les décisions prises lors de conseils de cette nature n’avaient qu’un lointain rapport avec les questions pratiques qui se posaient ; et l’on peut présumer sans risque qu’en général, les problèmes urgents étaient réglés sur les ordres directs d’un adjoint du régent ou sur l’initiative des fonctionnaires provinciaux mêmes. Jamais très grande ni très bien définie, l’autorité de la cour allait décroissant tandis qu’augmentait son attachement aux rites. Pour illustrer le triomphe de la forme sur le fond, des règles sur les faits, on peut citer un exemple datant de 1019.
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