Histoire du Japon
historique. Mais en réalité l’effondrement du kebiishi était celui de la seule force qui eût pu préserver l’autorité de la Couronne, laquelle n’avait pas pour la soutenir une armée permanente. Par ailleurs, les régents, qui comptaient sur l’adresse politique et répugnaient à utiliser la violence, voyaient la nécessité d’un appui militaire sur quoi ils pussent compter en cas d’urgence, et ils favorisèrent par conséquent certains guerriers des clans Minamoto ou Taira disposés à défendre leur cause, augmentant ainsi leur influence à la cour comme dans les provinces, où leurs familles étaient propriétaires de domaines importants. En grande partie grâce à leur aide, Michinaga parvint à rétablir un semblant d’ordre dans la capitale, mais en province, les puissants clans guerriers ne se soumettaient à sa volonté que lorsqu’ils y voyaient leur intérêt.
En dehors du caractère unique de la régence Fujiwara en tant qu’institution, les aspects sociaux de la scène métropolitaine sur laquelle régnaient les chefs du grand clan présentent un intérêt particulier en ce sens qu’ils dictaient la mode et le goût aussi bien que le comportement politique. Il n’est pas facile de décrire en termes précis la nature de la petite société – au plus quelques milliers d’individus – de grands officiers, de nobles de cour, de hauts fonctionnaires et parfois d’hommes d’Église qui constituaient la classe dirigeante, et dont l’existence quotidienne était si différente de celle du commun des mortels que nous voyons une dame de la période (début du XI e siècle) décrire les campagnards qu’elle a rencontrés à l’occasion d’un pèlerinage comme « un paquet de gens vulgaires, désagréables à regarder, un grouillement de chenilles ». Et au sein même de ce groupe privilégié, si éloigné du peuple, régnaient les plus inflexibles distinctions de classe et de rang. Les journaux intimes déjà mentionnés témoignent de l’intérêt des dames et des gentilshommes de l’époque pour les questions de protocole et de préséance, les règles de la conduite, de l’habillement et du langage, et les canons du goût. Dès avant que l’influence chinoise ne se manifeste avec force, le sens hiérarchique joue un rôle dominant et presque tyrannique dans l’histoire du peuple japonais ; et comme on l’a noté, l’un des premiers emprunts faits à la Chine fut un système où des coiffures de différentes couleurs indiquaient le rang occupé à la cour.
Plus tard, des lois très précises, fondées sur la pratique chinoise mais adaptées à la tradition sociale indigène, définirent une échelle détaillée des grades de cour et de fonction, avec les privilèges et les devoirs correspondants. Ces questions ont toujours occupé une place considérable dans la vie des membres de la classe dirigeante, suscitant l’ambition et l’intrigue ; mais sous la régence des Fujiwara, tandis que le pouvoir politique du souverain déclinait, ses fonctions purement rituelles gagnèrent en importance, de sorte que la vie non seulement des courtisans mais aussi de nombreux fonctionnaires en vint à être dominée par des problèmes de rang et de titre, et par le souci de s’acquitter correctement des rites qu’impliquait leur devoir.
Une certaine connaissance des traits marquants de ce système est donc indispensable à la compréhension de la société de Heian ; et pour y parvenir, le mieux est de commencer par les grades de cour, définis avec précision dans les premiers codes juridiques et restés en vigueur sans changement notoire jusqu’aux réformes de 1868, où certaines parties du système furent abolies ou tombèrent en désuétude.
A l’époque de Heian, il existait neuf grades de cour, dont chacun était divisé en deux catégories, supérieure et inférieure. Le premier grade supérieur était le plus élevé, et le neuvième grade inférieur le plus bas. Chacun des six grades inférieurs était à son tour divisé en une classe supérieure et une classe inférieure, en sorte qu’une description complète du grade d’un courtisan était du type : quatrième grade supérieur, classe supérieure, ou huitième grade inférieur, classe inférieure, etc.
Le grade suprême, le premier supérieur (« shô ichi-i »), n’était que rarement octroyé, même aux sujets les plus puissants, sauf à titre posthume ; le grade inférieur correspondant était
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