Histoire du Japon
doivent de les dénoncer avec toute la rigueur qu’exige un grave impair.
Le même esprit critique s’exerce à l’égard des mouvements rituels et de la conduite du cérémonial. Les grands services bouddhiques sont davantage considérés comme des parades de riches vêtements, de beaux uniformes et de postures correctes que comme l’accomplissement d’exercices pieux. Il y a dans ce domaine des connaisseurs prompts à discuter les mérites esthétiques de ceux dont ils entendent les prêches et la lecture des textes saints. Sei Shônagon elle-même dit qu’un prédicateur doit être d’un aspect agréable, car s’il est laid les yeux s’égarent et l’esprit vagabonde, tandis que s’il est beau on tient le regard fixé sur son visage, et l’on peut ainsi ressentir la sainteté de la vérité qu’il expose. Dans ce monde des sens, les mots « bon » et « beau » sont presque interchangeables.
Comme la plupart des dames de la cour, Sei Shônagon appréciait ces spectacles et les suivait avec un intérêt quasi passionné, mais sans perdre la tête. Elle décrit l’un d’eux en ces termes :
« Il y eut une superbe cérémonie dans la demeure du commandant de la garde du corps, qui vit sur la petite place de la Cinquième Avenue, où furent lus les Huit Sermons sous les auspices des grands officiers. Tout le monde vint entendre ces sermons, et comme nous avions été avertis que les voitures arrivant tard ne pourraient approcher, nous nous levâmes très tôt avec la rosée du matin […] C’était le milieu de l’été et la chaleur était exceptionnelle, et seuls ceux d’entre nous qui pouvaient voir les fleurs de lotus dans l’étang pouvaient sentir que nous jouissions d’un peu de fraîcheur. Tous étaient présents, sauf les ministres de la Gauche et de la Droite. Tous portaient des sashinuki [sorte de jupes-culottes], et des manteaux de cour violets qui ne cachaient pas leun ; sous-vêtements jaune vif. Les plus jeunes d’entre eux, de simples jeunes gens, avaient des sashinuki gris-bleu ou des pantalons blancs évoquant la fraîcheur. Le conseiller d’État Yasuchika lui-même était là, vêtu comme un jeune homme, ce qui ne convenait guère au caractère sacré de la cérémonie. Quel curieux spectacle ! On avait levé haut les stores, et les grands dignitaires étaient assis en longues rangées à travers la salle. Au-dessous d’eux, sous la véranda extérieure, les courtisans et jeunes seigneurs, très élégants dans leurs uniformes de chasse ou leurs manteaux de cour, n’avaient pas encore pris leur place, mais se promenaient, parlant et plaisantant. C’était un spectacle charmant […]. Tandis que le soleil approchait du zénith, le capitaine du Troisième Grade arriva – celui qu’on appelait alors le régent [il s’agit de Michitaka, le père de l’impératrice Sadako]. Il entra, portant une tunique d’été de teinte claire, un manteau violet, un sashinuki de la même couleur sur un pantalon de dessous rouge foncé, et par-dessus l’ensemble, un vêtement raide et non doublé d’une blancheur éclatante. On pouvait le trouver trop chaudement vêtu, mais il n’en était pas moins d’une merveilleuse élégance. […] Tous les gentilshommes portaient des éventails, dont les fines branches étaient laquées de couleurs différentes, mais dont le papier était du même rouge éclatant. On eût dit un parterre d’œillets superbement épanouis. »
En conclusion, Sei écrit que la grande et subtile variété des couleurs, qui chacune rehaussait les autres, offrait un tableau magnifique, merveilleusement plaisant ; et tout au long de la description qu’elle fait de telles scènes, elle insiste avec amour sur le détail des teintes. Elle appartient à une société où la jouissance visuelle confine à la passion. En lisant ce genre de récits, on a parfois le sentiment que les émotions les plus fortes éprouvées par ces connaisseurs proviennent non pas de leurs affaires de cœur qui semblent se dérouler selon la règle avec une sorte d’amabilité de bon ton, mais d’un choix parfait de couleurs, d’une calligraphie sans défaut, d’un heureux maniement des mots.
Voici un autre passage révélateur de l’intérêt que suscite le vêtement masculin :
« Le seigneur vice-chambellan […] s’avança, somptueux dans son manteau de cour d’une superbe couleur cerise, avec une doublure dont la teinte et le lustre avaient un charme inexprimable. Sa
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