Histoire du Japon
élément particulier de joie et de reconnaissance dans les formes primitives de culte telles qu’elles nous sont connues et qu’elles furent pratiquées dans les régions fertiles où s’installèrent les premiers émigrants. Leurs rites visaient bien sûr à préserver leur approvisionnement et à détourner les calamités, mais il semble qu’ils se soient adressés aux puissances invisibles avec confiance plus qu’avec crainte, et à en juger d’après telles prières que la tradition nous a conservées, ces puissances n’étaient considérées ni comme des dieux jaloux ni comme des juges cruels infligeant à l’homme châtiments et souffrances.
Sans doute ce culte n’était-il pas uniforme dans l’ensemble du Japon ; cependant, il dut y avoir un fonds croissant de croyance commune à mesure que l’on approchait de l’unité politique. On distingue d’ailleurs les débuts du processus qui fit de simples coutumes familiales et individuelles une religion organisée. Ses origines remontent à l’importance de la famille dans une société agricole. Le culte, qui concerne d’abord le bien-être de la maisonnée, s’étend ensuite à la communauté locale, puis à la tribu ou au clan, et finalement à la nation en général. Tous ces changements s’opèrent dans le cadre du culte d’un ancêtre, d’un fondateur qui représente et qui assure la continuité de la famille, du clan, de la maison régnante. Les deux premières étapes sont ici des évolutions naturelles, car elles procèdent d’un sentiment universel du caractère sacré de la fertilité, instinctif chez l’homme. En ce sens, les dieux sont tous des dieux de la fertilité, puisque le rendement des récoltes, la vie de la famille, la perpétuation de la tribu, sont toujours des questions de naissance et de développement ressenties comme indivisibles.
Il n’est pas possible de retracer le développement de l’idée de collaboration car elle provient aussi d’un instinct naturel de survie. Mais maigre la rareté des témoignages dont on dispose, quiconque étudie l’histoire primitive du Japon est frappé par la puissance du sentiment communautaire, dont le respect de l’ancêtre est à la lois cause et effet. Le sentiment de la famille exprimé dans le culte est très fort, et de même le sentiment d’appartenir au clan, le « uji », qui correspond à la « gens » des Romains, une société d’hommes libres partageant le même nom. Le chef du clan, uji no kami, est obéi et respecté en tant que tel, alors que l’objet que vénère l’ensemble de la communauté est le « ujigami » ( ujikami ), le dieu du clan, qui peut être un chef disparu, un ancêtre, une divinité tutélaire locale vénérée comme l’apothéose d’un lointain ancêtre. Étayé par le culte commun, l’effort de la famille et de la communauté développe nécessairement envers un groupe plus vaste comme envers un groupe plus petit un sentiment de loyauté que l’on peut qualifier de piété, au sens de la « pietas » latine signifiant un sens du devoir qui participe de l’émotion ou du sentiment religieux.
Un point de différence intéressant entre coutumes chinoises et japonaises réside dans l’attitude envers le deuil. En Chine, le deuil comprend des austérités prolongées et la soumission des parents survivants à une règle sévère, tandis qu’au Japon, sans négliger pour autant les rites de consolation et de respect envers le disparu, la famille paraît avoir eu de tout temps le souci de reprendre la vie normale aussi vite que possible.
Peut-être n’est-il guère indiqué de comparer les coutumes d’une société aussi développée que la Chine, société unie par le rituel, et le comportement plus primitif, ou moins réglementé, des Japonais. Mais la différence, quelle que soit sa valeur, nous fournit une clé du tempérament japonais et nous explique sa réaction à l’exemple ou à l’enseignement chinois dans le domaine social et politique.
Il est difficile de dire dans quelle mesure le culte indigène fut, en matière de règles familiales, influencé par le culte chinois des ancêtres. A n’en pas douter, ils revêtirent tous deux une même forme primitive, mais le culte ancestral ne devint jamais au Japon une institution aussi omniprésente qu’elle le fut en Chiîe, où, bien avant que les Japonais ne forment une nation, il constituait une particularité essentielle, et parfaitement réglementée, du
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