Histoire du Japon
de l’impur et à la pratique de la lustration, dont on a déjà vu qu’ils étaient au centre du culte shintô, et à la base de certaines conceptions éthiques. Le rôle joué par l’idée de pureté dans la légende comme dans le rituel a une portée essentielle. Elle est fondamentale dès les temps les plus reculés (comme l’attestent les voyageurs Wei), et elle a fait preuve jusqu’à l’époque moderne d’une exceptionnelle puissance de survie.
Les choses qui polluent sont diverses. Parmi elles, les plus importantes sont la malpropreté du corps ou des vêtements, la menstruation, les rapports sexuels, l’accouchement, la maladie, les blessures et la mort. Elles ne sont pas envisagées en termes de culpabilité, mais comme des impuretés dont il faut se débarrasser avant que l’homme ou la femme ne puissent reprendre une place complète dans la vie de la communauté. Des actions comme le meurtre, les coups, l’inceste ou la bestialité sont considérées comme des infractions qui engendrent l’impureté et polluent ceux qui les commettent ; elles doivent donc être expiées par une purification rituelle, qu’accompagnent parfois une amende ou une autre punition*.
Notons que le sang versé est polluant. Le mot « kega » est le mot original pour souillure, et dans le langage actuel les mots « kegare », « kegare-ru » et « kegasu » signifient « tache », « être taché » et « tacher ». Il y a une proche analogie avec les idées de pureté dans la Grèce antique, bien qu’à Athènes l’eau ne suffît pas toujours à laver le sang versé, et qu’il fallût parfois utiliser le sang d’animaux sacrificiels. Selon la conception grecque telle qu’elle s’exprime dans l’Orestie d’Eschyle, seul le sang pouvait laver le sang. Il n’y a rien de comparable dans les idées du Japon primitif.
Pour en revenir au mythe divin, une autre version raconte que, quand Izanagi se baigna dans le ruisseau, il déposa ses vêtements sur la rive, et que, de chaque pièce d’habit et de chaque partie de son corps, naquit une divinité. De son œil gauche sortit la déesse du Soleil (Amaterasu ömikami), de son œil droit le dieu de la Lune et de son nez le dieu des Tempêtes (Susanoo). La déesse du Soleil et le dieu de la Lune se retirèrent au Ciel, alors que le dieu des Tempêtes demeura sur terre et se mit à voyager en se comportant avec une violence extrême. Il est intéressant de constater que Susanoo, le Destructeur, est le seul dieu du mythe entier auquel on prête un caractère bien défini. Les autres divinités ont bien leurs attributs, mais elles restent des créatures assez indistinctes, guère plus que des abstractions auxquelles on a donné un nom mais pas de personnalité. Les exploits prêtés à Susanoo ne sont pas tous faciles à expliquer, même si certains sont manifestement des versions symboliques de l’histoire ancienne. Sa querelle avec sa sœur, la déesse du Soleil, fait certainement écho aux disputes qui survinrent entre quelque souveraine d’une société matrilinéaire et l’un de ses frères ou autre parent mâle jaloux de son pouvoir. Dans le Nihon-shoki, lorsque la déesse du Soleil apprend que Susanoo vient au Ciel pour faire ses adieux, elle craint qu’il ne veuille lui voler son royaume. Elle s’arme, « réunit son courage viril », et pousse un formidable cri de défi. La discorde entre Amaterasu et Susanoo reflète de toute évidence un ancien événement historique, probablement le conflit auquel fait allusion, dans le Weizhi, la description du Pavs de la Reine, et cela éclaire maintes histoires de l’époque des dieux, qui sont destinées à montrer que leurs descendants, dans leurs actions et leurs usages, ne font que suivre l’exemple ou même les commandements divins.
Au cours de cette querelle, le Mâle Impétueux (car c’est la signification que donnent certains savants au nom de Susanoo), après avoir détruit les remblais des rizières de sa sœur et commis d’autres actes odieux pour une société agricole, s’introduit de force auprès d’elle tandis qu’elle tisse avec ses servantes, et, par sa conduite brutale et inconvenante, souille son palais céleste. Outragée, la déesse du Soleil se retire dans une grotte, et la lumière du monde s’éteint. Les huit cents autres dieux sont au désespoir et la persuadent non sans peine de quitter sa cachette. Il faut rappeler ici que la vie future des hommes sur terre est
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