Histoire du Japon
maison impériale. Avant son temps, nous avons l’exemple d’ötomo Kanamura, auquel il vient d’être fait allusion, qui, en 498, écrasa le soulèvement d’un autre potentat, Heguri no Matori. Mais ce fut sous le clan des Soga que la domination du Trône par la noblesse atteignit son point culminant. Ici encore, l’intérêt historique n’est pas dans le détail de l’intrigue et du sang versé, qu’on retrouve dans l’histoire de tous les États à un stade comparable de développement. Ce qui mérite notre attention, c’est la survie, la continuité de la dynastie fondatrice malgré son impuissance à mater l’ambition des grands clans. Découvrir le pourquoi de ce phénomène constitue l’un des problèmes clés de l’histoire politique du Japon, tant il est vrai que le sentiment de loyauté envers le Trône tint bon malgré d’innombrables tempêtes et vicissitudes.
Le clan impérial n’était pas sans certains avantages. Les chefs des autres clans visaient à obtenir le pouvoir réel, et pour y parvenir, il s’agissait pour eux non pas d’usurper le Trône mais plutôt d’en devenir protecteur. Soga no Iname en était conscient, et pour arriver à ses fins il décida que le plus facile serait de supprimer ou du moins d’affaiblir ses rivaux et d’exercer son influence sur le chef titulaire de l’État en tissant des liens familiaux par le mariage de femmes Soga à des princes impériaux.
En conséquence de quoi, après quelques luttes sanguinaires, son clan finit par apporter une aide précieuse au gouvernement impérial en tant qu’institution, en diminuant le pouvoir réel de l’empereur, mais aussi en renforçant et en perpétuant son droit à régner comme symbole d’unité nationale. Cette situation apparemment paradoxale n’est assurément pas exceptionnelle dans l’histoire de la monarchie. Au Japon comme ailleurs, elle fut le fait de puissants nobles, mais elle n’aurait pu se concrétiser sans une solide et ancienne tradition de respect à l’égard du souverain. Ce fut sans doute l’autorité de l’empereur, grand prêtre intercédant auprès des dieux en sa faveur, qui unit le peuple par un lien religieux plus durable que n’importe quels liens politiques. Il faudrait ajouter que le clan impérial possédait en outre certains avantages séculiers, comme sa richesse accumulée, la possession des insignes de la royauté, ses fonctions (même nominales) d’arbitre parmi les autres clans et sa position de représentant de l’ensemble du Yamato lors des campagnes contre les tribus rebelles et dans les tractations avec d’autres peuples et pays, notamment la Chine, où l’on donnait de l’importance aux titres dynastiques, ou du moins aux symboles de légitimité. Le pouvoir mystique du souverain était reconnu depuis les temps les plus anciens, ainsi qu’on peut le voir dans les textes Wei, qui prétendent que la reine Pimiko ensorcelait son peuple par des moyens magiques. Telle que la racontent les chroniques indigènes, l’histoire de l’Âge des Dieux ne se contente pas de parer le souverain d’une qualité divine, elle pose dès le départ qu’il est le descendant des dieux.
Les monarques de l’Europe pouvaient bien se dire rois « par la grâce de Dieu » ; au Japon, les empereurs se présentaient comme des « dieux manifestes », gouvernant le royaume terrestre. Il est important de comprendre que la divinité du souverain, telle que la conçoit toute l’histoire japonaise, n’est pas une qualité qu’on revendique mais une croyance de base, une conséquence historique de sources primitives. Elle n’est pas comme le « droit divin des rois », qui est une théorie politique, vaguement issue sans doute d’une très ancienne conception de la royauté mais dont l’époque moderne a tiré une doctrine cohérente à l’appui de l’absolutisme. En Europe, l’idée même de souveraineté nationale reste vague jusqu’au moment où lui donnent corps les luttes d’indépendance pour échapper à la suprématie du pape et de l’empereur. Les conditions qui ont présidé au développement de la doctrine européenne – les prétentions de la papauté en particulier et le caractère théologique de la politique médiévale en général – n’ont au Japon aucun équivalent.
RELATIONS AVEC LES ROYAUMES CORÉENS
Aux ve et vie siècles, la politique intérieure du Japon était étroitement liée à sa position géographique dans la péninsule
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