Histoire du Japon
pour entrer dans l’histoire véritable. Cependant, les chroniques indigènes restent fantaisistes, comme l’atteste leur description du comportement de l’empereur aux environs de l’an 500. Elles nous le présentent en effet comme un débauché, prenant un ignoble plaisir à se montrer cruel, torturant ses sujets, ouvrant le ventre de femmes enceintes et commettant d’autres atrocités. Dans un ouvrage d’où la dignité impériale doit sortir rehaussée, la chose est très troublante, et l’on ne peut qu’imaginer qu’un problème de succession a surgi pendant ou peu après le règne de Yüryaku, et qu’il est ainsi devenu souhaitable de présenter ses descendants comme indignes du trône par manque de vertu. On ne peut guère douter que l’histoire de ces crimes soit une pure invention, car ils sont imputés à Buretsu, le 25 e empereur, collatéral probablement imaginaire de Yüryaku, et ils correspondent presque exactement à ceux que le Livre de l’histoire et d’autres ouvrages plus tardifs attribuent au tyran Zhou, de la dynastie Yin, qui régna sur la Chine vers 1200 avant notre ère. Ce roi Zhou présumait à tort que rien ne pourrait lui ôter sa divine royauté, et il se peut que les historiens japonais, influencés par les théories gouvernementales chinoises qui, vers l’an 700, étaient en vogue parmi leurs compatriotes érudits, aient cru bon d’emprunter sa légende pour justifier un changement dynastique.
Le problème de la légitimité n’a pas en soi grande importance, mais la façon dont les chroniqueurs ont traité l’épisode montre que, dans la pratique, les questions de succession étaient généralement soulevées et résolues par les grands nobles, dont les démêlés avec le pouvoir et les âpres rivalités occupent l’essentiel de la scène politique aux V« , vie e t vue siècles. La dynastie régnante était réellement en danger, le principe même de légitimité était en cause, et l’unification du Japon sous une lignée de souverains héréditaires ne s’est visiblement pas déroulée de manière aussi paisible que les historiens officiels le prétendraient plus tard. Les grands chefs de clans, les 0- omi et les ômuraji, que nous avons déjà vus accroître leurs domaines et leur puissance économique en concurrence avec la famille impériale, occupaient à la cour la charge de grands ministres conseillers du Trône. Ce sont eux qui choisissaient le successeur, parfois contre le testament du souverain, et il arrivait que leurs héritiers légitimes se trouvent dans une position si dangereuse que maints d’entre eux s’enfuirent dans une lointaine province pour ne pas être assassinés. Ainsi, on nous apprend que lorsque, après la mort de Yüryaku, la lignée de l’empereur Ninken s’éteignit (apparemment à cause du meurtre des prétendants plausibles), les ômuraji Otomo no Kananuira envoyèrent chercher certain prince, qui, voyant approcher une escorte armée, prit aussitôt la fuite pour ne plus jamais reparaître. On trouva par la suite un autre prince, qui voulut bien courir le risque et accepta la proposition des ministres. Il s’agit de Keitai, 26e empereur, dont la chronologie officielle situe le règne entre 507 et 531.
On ne sait pas grand-chose de ses agissements, ni de ceux des cinq empereurs qui lui succédèrent :
Dates du Nihon-shoki
Ankan Senka
531-536 536-539 540-571 572-585 585-587
Kimmei
Bidatsu Yômei
Certains de leurs règnes sont curieusement brefs comparés à ceux des empereurs légendaires, mais ils semblent être morts de mort naturelle, et les grands ministres étaient désormais si puissants qu’ils pouvaient normalement arriver à leurs fins sans violence, notamment par des alliances matrimoniales avec la famille impériale. L’empereur Kimmei, par exemple, eut de nombreux enfants d’une fille du premier grand ministre de son temps, Soga no Iname, qui prétendait descendre d’un des empereurs légendaires et était le chef des Soga, l’un des grands clans du Yamato. Une de ses filles se maria avec l’empereur Bidatsu, puis devint l’impératrice Suikô, et l’empereur Yômei, son frère, épousa une fille de Kimmei par une autre Soga, de sorte qu’à sa mort, en 588, il y avait une forte proportion de sang Soga chez tous les successeurs possibles au trône.
Soga Iname (auquel succéda Soga Umako en 570) était devenu grand ministre en 536. Ce n’était pas le premier grand noble à tenter de régir la
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