Histoire du Japon
circonstances contemporaines, car le confucianisme, hors de tout but et de toute scission doctrinale, dominait déjà la scène intellectuelle. Mais cela ne signifie pas que les lettrés confucianistes en tant que tels exerçaient une autorité politique d’une quelconque importance. Il y avait des lettrés confucianistes parmi les fonctionnaires d’Edo et des provinces. Ils donnaient des conseils sur demande, et on les consultait évidemment sur les questions d’éducation, qui constituaient leur première préoccupation ; mais leurs grades officiels montrent clairement que, sauf dans des cas exceptionnels, ils ne comptaient pas parmi ceux qui décidaient de la politique. D’après leurs salaires, il semble que leur rang n’était pas plus élevé que celui des hatamoto au service des Tokugawa et nettement inférieur à celui des kashin dans un fief.
Dans l’ensemble, ils avaient sans doute une certaine influence sur le pays, mais celle-ci est plus facile à alléguer qu’à prouver. Lorsqu’on considère l’histoire politique de la période allant de 1650 à 1700, on ne trouve guère d’indications témoignant d’une idéologie orthodoxe approuvée par le gouvernement Tokugawa ; et si cette vision est correcte, on ne peut pas dire que le gouvernement comptait sur un confucianisme « officiel » pour étayer ses actes. L’enseignement approuvé à Edo était celui du collège Hayashi, mais sa direction, ainsi qu’on l’a vu, se trouva sur le déclin à partir de 1670 environ. A cette époque, des voix non conformistes se faisaient entendre à travers tout le pays. Les deux jeunes gens, Nakae Tôju et Yamazaki Ansai, qui attaquèrent Razan dans les années 1640, furent suivis par des opposants plus vigoureux, comme Yamaga Sokô (1622-1685) ou Kumazawa Banzan (1619-1691), qui allèrent jusqu’à dénoncer les versions orthodoxes du système de Zhu Xi sans rien encourir qu’une réprimande officielle assortie d’une mise en garde.
On peut donc en déduire que le gouvernement des Tokugawa n’était pas violemment opposé à la critique de sa philosophie. En fait, il se peut même qu’il ait été incapable de définir sa propre orthodoxie. Au milieu du siècle, les hauts fonctionnaires du bakufu étaient les chefs des maisons militaires, des chefs aguerris comme Sakai Tadakatsu et Hotta Masamori, qui n’étaient sans doute pas versés dans l’argumentation philosophique, tandis que Razan lui-même, à la tête du confucianisme officiel, n’était pas très fort en matière de doctrine aux yeux d’un disciple rigoureux de Zhu Xi. Peut-être est-ce cela qui explique l’apparente clémence du gouvernement à l’égard des penseurs dissidents. C’était le désaccord avec sa politique, non avec ses idées, que le bakufu n’aimait pas.
Une brève étude de l’attitude du gouvernement à l’égard de quelques-uns des principaux non-conformistes pourra contribuer à rendre la situation plus claire. Le premier qui, parmi eux, attira l’attention du bakufu fut Yamaga Sokô, originaire d’Aizu, un brillant élève de Hayashi Razan. Tout en acquérant une compréhension profonde à la fois du bouddhisme et du néoconfucianisme, il s’intéressait de près aux affaires militaires, car il souhaitait trouver une solution au problème le plus grave de l’époque, la position anormale de la classe guerrière dans une époque de paix. Ses conférences étaient suivies par un nombreux public, y compris des daimyô et des hommes du rang de hatamoto. En 1652, il fut invité au château d’Asano, le daimyô d’Akô, pour y être instructeur militaire. De retour à Edo en 1661, il écrivit une œuvre intitulée Seikyö Yöroku (les Rudiments du confucianisme), où il prônait le retour à la doctrine pure et condamnait les versions des dynasties plus récentes. Il contredisait ainsi le néo-confucianisme officiel, et le gouvernement ne pouvait que s’en offusquer. Sokô fut donc renvoyé à Akô, où il demeura en exil et continua ses études.
Tous ses écrits témoignent de son intérêt pour la science militaire et pour la classe guerrière. Son livre intitulé Shidô, ou la Voie du guerrier, qui témoigne d’une forte influence confucianiste, contient ses vues quant à la place que le guerrier doit occuper dans la nouvelle société. Il décrit ses devoirs et le but moral qui doit les inspirer. Cet ouvrage et d’autres de la même veine sont les précurseurs de l’enseignement connu plus tard
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