Histoire du Japon
une nouvelle conception de la place du samurai dans la société. Ce n’est plus un militaire, mais un civil chargé de la conduite intellectuelle et morale du peuple dans son ensemble. A propos de la relation entre le guerrier et son seigneur, Sokô dit en outre qu’elle est le fruit d’un décret divin, absolue et inviolable, supérieure à toutes les considérations de gratitude ou de récompense.
Il s’agit là d’un système abstrait soigneusement construit, mais qui ne résiste pas à une étude approfondie. Tout en posant que le samurai ne doit pas penser en termes de récompense, Sokô lui-même écrivait que, alors qu’il était en exil, il refusait de travailler pour moins de dix mille koku. En réalité, ce qu’on attendait du samurai, ce n’était pas des professions de foi touchant la loyauté et le devoir, mais un travail pratique au service du gouvernement. Pour cela, il fallait de l’obéissance et de l’assiduité, mais ces vertus n’avaient besoin d’aucun support philosophique. C’étaient les vertus traditionnelles du samurai, et elles continuaient d’être pratiquées, imparfaitement sans doute, mais de façon assez générale pour exercer une influence à titre d’idéals.
D’autres confucianistes essayèrent comme Sokô de rationaliser une situation où une classe qui comprenait moins du dixième de la population ne produisait rien en vivant aux dépens du grand nombre, c’est-à-dire des paysans, des artisans et des commerçants. Dans ce domaine, les propositions faites par les philosophes demeurèrent sans effet ou se révélèrent carrément nocives ; cependant, ils avaient parfaitement raison de s’en prendre à certains traits de l’ancienne tradition des samurai.
La persistance partielle de l’ancien code est illustrée par certaines survivances qui étaient en nette contradiction avec l’enseignement éthique des confucianistes. Il y avait notamment la pratique du junshi, immolation permettant de suivre un seigneur guerrier dans la tombe. Elle appartenait à un âge où le lien entre le chef et l’homme lige qui combattait à ses côtés était très étroit et personnel, si étroit que quand le chef était tué l’homme lige cherchait immédiatement la mort pour l’accompagner. Cette pratique fut perpétuée pendant un temps à l’époque d’Edo par le suicide de plusieurs hommes à la mort d’un shôgun ou d’un grand daimyô. D’un point de vue rationnel, elle était considérée comme mauvaise, et Ieyasu la condamnait pour des raisons générales comme la condamnaient la plupart des daimyô influencés par l’enseignement confucéen.
Les premiers exemples de junshi à l’époque d’Edo furent le suicide, en 1607, de quatre pages à la mort de Matsudaira Tadayoshi et de quatre partisans à la mort de Matsudaira Hideyasu. Ensuite, il y eut des cas assez fréquents durant un certain temps, y compris des exemples de junshi au second degré, c’est-à-dire de junshi pratiqué pour suivre un supérieur qui lui-même s’était donné la mort par junshi.
L’argument à l’appui de cette pratique disait qu’un guerrier ne peut servir deux maîtres, et que, par conséquent, lorsque son seigneur meurt il doit mettre fin à sa propre vie. Quand le shôgun Hidetada mourut, l’un des röjü le suivit, et à la mort du shôgun Iemitsu treize personnes firent junshi, dont les très éminents röjü Hotta Masamori et Abe Shigetsugu. Cette sinistre habitude finit par être interdite par des daimyô éclairés comme Hoshina, Ii, Ikeda et Kuroda, et enfin par un décret du bakufu en 1663. L’interdiction fut appliquée de façon stricte, et lorsqu’un vassal d’Okudaira Tadamasa se tua à la mort de ce dernier, en 1668, deux de ses enfants furent exécutés, d’autres de ses parents exilés, et l’héritier d’Okudaira déplacé dans un fief de moindre importance. Dès lors, la pratique du junshi fut abandonnée. En l’occurrence, l’intervention du bakufu peut être considérée comme un exemple de l’influence du sentiment confucéen sur la politique gouvernementale.
La vendetta (kataki-uchi), d’origine ancienne, était une pratique plus courante et moins contre nature. Le premier exemple attesté de kataki-uchi à l’époque d’Edo fut le duel d’Igagœ, en 1634, entre Watanabe Kazuma et Kawai Matagorô, qui avait tué le père du premier. Kazuma, accompagné de son beau-frère et de deux jeunes samurai, poursuivit Matagorô et plus de vingt
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