Histoire du Japon
pendant plus de vingt ans après la première expédition d’envergure qu’on avait envoyée contre eux, et il y a tout lieu de penser que cette résistance ne fut pas due seulement à leur caractère obstiné, mais également à la neutralité, voire à l’aide active, de certains des premiers colons qui n’acceptaient pas l’intrusion du gouvernement central dans une région frontière où ils n’avaient pas d’impôts à payer, ni rien qui entravât leur liberté. Il y avait sans doute parmi eux des Aïnous ou des enfants de mariages mixtes, et c’est peut-être pourquoi le gouvernement transféra alors plusieurs milliers d’individus des provinces développées de l’Est dans les territoires du Nord récemment conquis. Ces nouveaux colons reçurent l’assurance que les terres qu’ils mettraient en culture seraient exonérées d’impôts, et fondèrent certaines des familles militaires les plus rudes et les plus intraitables de l’histoire du Japon, qui cultivaient par tradition le mépris des ordres de la capitale.
Il s’agit là de cas extrêmes, mais de façon générale, tandis que se poursuivait l’opération de défrichement lancée au vine siècle, un conflit surgit entre intérêts ruraux et métropolitains, qui, dans ses diverses manifestations, constitue le fond de l’histoire des trois siècles suivants. Au ixe siècle, les dépenses du gouvernement central augmentèrent rapidement du fait qu’il entreprit, en plus de ses réalisations militaires et architecturales, de construire des routes et des ponts. Plus il lui fallut lever d’impôts, plus les grands propriétaires mirent d’application à ne pas les payer ; et l’on peut presque dire que le résultat principal du conflit en question fut une lutte permanente entre l’administration et les notables provinciaux pour avoir la haute main sur les terres agricoles.
Échec des lois foncières : Moins spécifiquement, mais peut-être plus correctement, on peut dire que l’histoire politique de l’époque de la réforme de Taihô (701) se résume à celle de la ruine progressive du système de gouvernement élaboré, logique et symétrique emprunté à la Chine par de fervents admirateurs à qui manquait l’expérience nécessaire en matière d’administration civile. Ce système ne tarda pas à se révéler mal approprié au Japon, où les anciennes coutumes demeuraient fortes et où la méthode de culture du riz rendait inapplicables les prescriptions chinoises. Comme on l’a vu, le projet de distribution du sol par parcelles commença à sombrer dès le vine siècle, et malgré les nombreux efforts qu’il tenta dans ce sens, le gouvernement de Heian ne réussit pas à le renflouer. Les archives, assez abondantes, montrent que la procédure était extrêmement incommode, exigeant des études, inscriptions, contrôles, comptes et rapports si pénibles et si ennuyeux que même un administrateur moderne, parfaitement au point, aurait du mal à l’appliquer. On ne saurait donc s’étonner que les fonctionnaires provinciaux et locaux aient été incapables d’en suivre les règles, et bien souvent peu disposés à le faire. La terre était distribuée à intervalles irréguliers, et de façon arbitraire, et, quoique le système de répartition (han-den) ne fût jamais officiellement abandonné, il s’effondra graduellement, ainsi que l’atteste un édit de 902, qui le dit tombé depuis longtemps en désuétude et ordonne que l’on y revienne. Dans certaines régions du pays, il n’y avait plus eu de distribution depuis 850 ou même avant. Cependant, une dizaine d’années après cet effort de restauration, on vit le gouvernement s’inquiéter non de l’octroi de terres, mais des impôts ou tributs des parcelles délaissées par leurs détenteurs, que ceux-ci soient morts ou qu’ils soient allés travailler dans un domaine privé, parfois après avoir loué ou vendu leur lot de connivence avec les officiers locaux.
Les fugitifs étaient connus sous le nom d’« ukarebito » ou de « rônin », utilisé ensuite, à l’époque féodale, pour désigner ceux qui avaient quitté le service de leur seigneur. La situation n’était pas nouvelle, puisque (comme nous l’avons vu au chapitre v) les archives mentionnent des paysans en fuite dès 670. Selon une déclaration officielle, en 780, il y avait de si nombreux paysans absents dans la province d’Ise qu’il était impossible d’y entreprendre aucuns travaux
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