Histoire du Japon
officiers de province de garder pour eux une partie des impôts (sous forme de riz ou d’autres produits) dus au gouvernement. Un autre délit regrettable était le détournement de l’intérêt que payaient (en espèces) les cultivateurs pour l’emprunt officiel de semences, ou l’appropriation de stocks de grain mis en réserve pour pallier une éventuelle pénurie. De façon générale, et sous des prétextes variés, le domaine public faisait l’objet de toutes sortes d’appropriations, et la corvée à laquelle les paysans étaient soumis bénéficiait souvent à des particuliers.
Les malversations en tout genre étaient si courantes que de grandes difficultés surgissaient quand un gouverneur nouvellement nommé arrivait à son poste. La loi exigeait qu’il donnât une décharge à son prédécesseur en sorte qu’aucune plainte ne pût être portée contre lui. Mais le nouveau venu, connaissant les actes illégaux susceptibles d’avoir été commis, se montrait toujours très prudent, et il se passait souvent plusieurs mois, ou même plusieurs années, avant qu’un accord ne pût être conclu. La chancellerie dut finalement (vers 790) créer une commission spéciale chargée de déterminer les conditions de passation, et, en 802, un code de procédure fut rédigé, réglant la transmission de tous les postes. Après diverses révisions, il atteignit sa forme définitive en 867. Les commissaires à la décharge, ou kageyushi, formaient une sorte de cour des comptes, caractéristique des nombreux organismes extra-légaux qui se constituèrent à mesure que le système primitif révélait ses faiblesses en matière de gouvernement, à la fois sur le plan central et provincial.
De quelque façon qu’on choisisse d’expliquer l’impuissance du gouvernement central à faire appliquer son propre code administratif, il est parfaitement clair que la cause immédiate en fut la résistance tenace manifestée par les propriétaires locaux. Les intérêts ruraux étaient entre les mains de colons ruraux qui, en matière de tenure et d’impôts fonciers, pouvaient compter sur la protection des grands nobles résidant dans la capitale mais propriétaires de vastes domaines campagnards. C’était des hommes puissants, auxquels les gouverneurs de province les plus audacieux étaient seuls à oser tenir tête. En d’autres termes, bien qu’elles donnassent officiellement autorité sur la terre et la population au souverain et à ses ministres, les réformes de Taika n’avaient pas brisé la puissance des grands seigneurs terriens.
Le fait est que la terre était la source réelle du pouvoir au Japon, et que l’appareil gouvernemental de la capitale était une extension artificielle. Le flot d’édits et d’arrêtés en provenance de la métropole ne pouvait changer le caractère de la société. C’était la loi qu’il fallait adapter à la société, non la société à la loi, comme en témoigne le développement d’institutions extralégales que nous venons de relever. La première d’entre elles était l’espèce de propriété terrienne dite shôen, ou manoir, qui consistait en un domaine jouissant d’exemptions fiscales entièrement contraires à l’intention des lois foncières, mais acquises par l’usage au cours du vine e t du ixe siècle, puis totalement admises quoique avec réticence. Son apparition est caractéristique du refus de la vie rurale de se conformer au modèle prescrit par la vie citadine.
Le shôen japonais a beaucoup en commun avec le manoir européen, dont le développement est toutefois plus ancien et l’origine quelque peu différente.
Le système manorial anglais était essentiellement le même que celui qui prédominait dans le nord de la France et l’ouest de l’Allemagne. Ce système lui-même était la continuation des conditions qui régnaient du temps des Romains. En Angleterre, avant la disparition des légions romaines (vers 360 de notre ère), des centaines de navires transportaient du blé britannique dans les villes du Rhin. Ce blé provenait des grands domaines privés entourant les villas et greniers des propriétaires de la terre. Ces domaines étaient cultivés non par des hommes libres, mais par des « colonie », des affranchis et des esclaves. Quoique officiellement libres, les travailleurs des deux premières catégories étaient en fait attachés à la terre. Ces conditions se poursuivirent jusqu’à la fin du vine siècle. Les documents de
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