Histoire du Japon
publics. Les inspecteurs envoyés sur place découvrirent alors que ceux qui, dans les registres, étaient mentionnés comme « morts » ou « en fuite » étaient en fait réfugiés dans les domaines voisins et ne pouvaient être contraints à la corvée parce que les autorités de la province n’osaient défier les grands propriétaires terriens.
La faillite du système était due avant tout au fait qu’il ne convenait pas au pays. Il ne convenait pas au cultivateur, qui était profondément attaché au coin de terre qu’il cultivait lui-même et qu’il considérait comme sien indépendamment de tout titre de propriété. Étant donné l’état des communications, son application ne pouvait pas être assurée par des fonctionnaires provinciaux qui plaçaient le sentiment local au-dessus des obligations juridiques. Et ses promoteurs n’avaient pas, quant à eux, prévu les conséquences du programme de défrichement et du poids des impôts, de la corvée et du service militaire, qui allaient amener les détenteurs de parcelles soit à vendre ou louer leurs terres avec la complicité des autorités locales, soit à les abandonner purement et simplement pour chercher ailleurs un moyen d’existence. Certains de ces abus au moins auraient pu être redressés si le gouvernement central avait été à même de surveiller ses représentants en province, mais le caractère hiérarchique du système administratif chinois avait été transplanté au Japon uniquement dans sa forme et non dans sa substance, en sorte que des personnages haut placés et des institutions puissantes refusaient de se plier aux ordres de la nouvelle bureaucratie. En outre, aucune bonne raison ne permet d’affirmer que le système chinois, tel que le définissent les codes Sui et Tang, fonctionnait de manière vraiment satisfaisante même dans son pays d’origine. Les documents dont on dispose tendent au contraire à démontrer qu’il fonctionnait de façon plutôt défectueuse, et que la survivance en Chine d’une puissante administration centrale fut la conséquence non de la sagesse des législateurs mais de certaines conditions économiques et topographiques, notamment le besoin d’une politique d’irrigation à grande échelle, qui favorisa et même exigea la concentration du pouvoir entre les mains de fonctionnaires hautement qualifiés.
Inadéquation des codes : L’insuccès du système administratif au Japon ne peut être imputé à une seule cause. En fait, on ne peut pas vraiment dire qu’il échoua puisque aucune des dispositions des codes ayant trait à la propriété et au revenu fonciers ne fut strictement observée dès leur promulgation. De façon générale, la chose peut s’expliquer en disant que le système chinois ne convenait pas au Japon, qu’il était prématuré d’imposer à une société en devenir un procédé qui ne pouvait marcher là où les communications étaient médiocres et où il n’y avait pas assez de fonctionnaires locaux compétents et dignes de confiance pour faire appliquer la loi de manière impartiale. Mais la cause véritable ne se résumait pas à une simple carence administrative. Elle résidait dans la conduite égocentrique et insubordonnée des grands nobles de la capitale, qui, par leur influence, étaient en mesure de corrompre ou de braver les autorités provinciales, des collecteurs d’impôts aux gouverneurs eux-mêmes. En d’autres termes, c’était la puissance du principe héréditaire qui mettait en échec les dispositions de la loi. Une poignée de fonctionnaires combattaient cette pression, mais la plupart étaient de mèche soit avec les grands en personnes, soit avec leurs représentants locaux ; et il faut se rappeler qu’au-dessous du rang de gouverneur, la majorité d’entre eux étaient nommes sur place, et d’abord en fonction des avantages et intérêts locaux.
Il serait superflu de décrire en détail toutes les formes de malversation pratiquées par les fonctionnaires de province ; mais il vaut la peine de citer quelques-uns des abus auxquels la bureaucratie de la capitale s’efforça en vain de porter remède à coup d’arrêtés et de règlements, car c’est de l’irrespect de l’autorité centrale que naquirent ces magnats provinciaux indépendants dont les descendants seraient les fondateurs d’un État féodal.
L’un des abus les plus courants du pouvoir administratif était la falsification des registres fiscaux, qui permettait aux
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