Histoire du Japon
des satisfactions sociales et des joies esthétiques. Mais il n’essaya pas d’utiliser sa position à des fins séculières ; il était au-dessus de l’intrigue.
En 816, une fois de retour de Chine, il fonda un monastère sur le mont Kôya, dans un site solitaire et beau, à quatre-vingts kilomètres de la capitale et d’accès peu facile. C’est là que, au terme d’une vie active essentiellement passée en ville, il fut enterré en 835. Et c’est là que, pour ses disciples, il repose non pas mort mais dans l’attente paisible de la venue du Bouddha de l’avenir. Il connaissait les pentes et les torrents du Kôya depuis sa prime jeunesse, où il avait été heureux dans ce merveilleux paysage ; et l’on raconte qu’il choisit ce lieu pour sa sépulture dès le jour où, venant du Yoshino et se dirigeant vers l’est, il découvrit cette conjonction parfaite de paix et d’enchantement.
Tout à fait en dehors de leur importance religieuse, le Tendai et le Shingon influèrent tous deux sur l’histoire des idées séculières au Japon, en ce sens que les écrits de Saichô et de Kùkai encouragèrent l’habitude d’une pensée systématique. Les bases philosophiques des premières sectes de Nara avaient été profondes, mais elles ne transmettaient la pensée indienne ou chinoise qu’à l’intérieur d’un cercle étroit de professionnels, tandis que ces deux maîtres visaient un public plus vaste. Kùkai en particulier écrivit des traités originaux exposant l’enseignement Shingon d’une façon schématique et bien articulée qui influença certainement les études théologiques ultérieures au Japon.
Selon certains érudits japonais, Kùkai cherchait par son système à concilier le bouddhisme mahayana et la cosmologie chinoise yin-yang et des Cinq Éléments. Même s’il est douteux qu’il fît de grands efforts pour en arriver à un compromis aussi spécifique, il y a certaines raisons de croire qu’il était parfaitement conscient de la différence entre le système chinois et sa propre description du corps du Suprême Bouddha (c’est-à-dire de l’ultime vérité) comme étant composé de six éléments, soit les cinq éléments de la cosmologie chinoise plus la conscience, ajoutant ainsi un élément spirituel au monde phénoménal qui entre seul dans l’analyse confucéenne. De ce point de vue, il existe entre le bouddhisme et le confucianisme un conflit que Kùkai essaya peut-être de résoudre.
La question est d’un grand intérêt pour l’histoire de la pensée japonaise, car elle porte sur les moyens grâce auxquels tant d’éléments apparemment disparates se fondirent dans l’éthos national. Mais c’est une question très difficile, qui touche à la racine de ce que l’on appelle caractère national, et peut-être vaut-il mieux dire que, le Tendai et le Shingon étant deux sectes compréhensives visant à une espèce d’universalité, dans leur attitude vis-à-vis de la pensée confucéenne, elles préférèrent mettre l’accent sur les ressemblances plutôt que sur les différences. Pour ne prendre aucun risque, disons qu’on peut imaginer que le bouddhisme ne rencontra pas une forte résistance de la part du confucianisme au Japon parce que le confucianisme ne s’y trouvait pas fermement établi et n’était pas une expression du sentiment indigène japonais.
Dans son premier ouvrage, Sankyô chiki, un traité sur les Trois Doctrines, Kùkai parle du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme, et de son désir de les réunir. Dans son exposé, il dit notamment que le taoïsme mieux que le confucianisme, et le bouddhisme mieux que le taoïsme, convient aux grands principes de loyauté et de piété filiale. Les termes dans lesquels il pense sont évidemment ceux des principes japonais de comportement, et il paraît clair que, pour lui, le confucianisme n’offrait pas à l’individu une ligne de conduite morale suffisante. En tant que bouddhiste, quoique tolérant, il ne pouvait admettre que le mal est un trouble temporaire de l’ordre naturel. Il ne pouvait que croire que l’homme peut se libérer des chaînes du monde phénoménal et devenir un bouddha par sa propre volonté.
Quelques discussions que ces différentes écoles de pensée aient pu soulever dans les cercles lettrés, l’oisive société aristocratique de la capitale céda à l’influence de la littérature chinoise, et, sous le patronage impérial, les études chinoises prospérèrent
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